Les murs d’un château fort attaqués par des microbes
Posté : 5 avril 2025 / Mis-à-jour : 5 avril 2025
Temps de lecture : 9 minutes
Les micro-organismes comme les bactéries et les moisissures sont connus pour leur capacité à infecter d’autres organismes vivants et les conséquences négatives que cela peut entrainer. Mais ils peuvent aussi avoir une action néfaste pour des objets inanimés comme les pierres ou le bois. On parle de biodétérioration pour désigner l’altération biologique de surfaces inertes qui peuvent être trouvées dans des constructions humaines telles que des œuvres d’art ou des bâtiments par exemple [1, 2]. Cette détérioration peut avoir des impacts économiques dans le cadre du tourisme ou conduire à la perte d’œuvre culturelle. Pour mieux comprendre ce phénomène, des chercheurs polonais ont étudié les micro-organismes présents sur les murs d’un château fort datant du X / XIe siècle.
Biodétérioration
La biodétérioration correspond à la dégradation de constructions humaines par des organismes vivants tels que des bactéries, mycètes, algues microscopiques, lichens ou plantes. Cela touche aussi bien des matériaux inorganiques comme les roches ou organiques comme le bois ou les pigments de tableaux par exemple. Bien qu’ayant lieu dans un premier temps à l’échelle microscopique, les conséquences de la biodétérioration peuvent être visibles à l’œil nu. Cela est particulièrement visibles pour les objets à l’extérieur qui sont en plus soumis à une détérioration par les conditions environnementales (par exemple la pluie ou le vent).
Dans le cadre des roches, des mécanismes physiques (mécaniques) ou chimiques sont impliqués dans leur érosion [5, 6]. L’altération par des micro-organismes repose elle même en partie sur des mécanismes chimiques ou physiques. Ceux-ci sont les mêmes que ceux impliqués dans l’altération des roches dans l’environnement. Ils conduisent notamment à rendre la roche plus poreuse et sensible aux stress.
Les murs du château fort
Pour étudier la biodétérioration du château fort château du Wawel (localisé près de Cracovie en Pologne), des prélèvements sont effectués dans la rotonde saints Félix et Adauctus [7, 8]. Les prélèvements sont réalisés, pendant six mois, dans une zone du château fort fermée au public. La seule ouverture sur l’extérieur est la porte de cette pièce.

Cette pièce a été construite avec des blocs de grès liés entre eux par du mortier de chaux ce qui est typique du 10 / 11 siècle. A l’époque, le mortier était obtenu en mélangeant de la terre, de la chaux et de l’eau.
Comment sont prélever les micro-organismes ?
Les micro-organismes présents sur le mur sont récupérés via des écouvillons et en collectant de la poussière et du sable se détachant des roches. En parallèle, des prélèvements d’air sont aussi réalisés ainsi que des mesures de température et d’humidité. Ces analyses indiquent que la température varie peu au cours de l’année (19 à 25 °C) au contraire de l’humidité (34 à 63 %). Cette pièce étant fermée aux visites, les scientifiques considèrent que les bactéries présentes sont spécifiques aux murs et ne proviennent pas de contaminations par les touristes.
Les murs de cette pièce peuvent être considérés comme un environnement « extrême » pour les micro-organismes. Cela est dû à la faible quantité de nutriments présents pour se nourrir, le peu d’échange d’air, une humidité instable ainsi qu’une forte salinité.
Quels sont les mycètes trouvés sur les murs du château fort ?
Les analyses moléculaires et l’observation en microscopie électronique ont permis de d’identifier certains des mycètes présents sur le mur. Les espèces identifiées, dans cette étude, telles que Aspergillus ou Alternaria sont connues pour leur impact négatif sur les constructions humaines. Ces organismes peuvent causer une acidification du milieu ce qui endommage les roches. De plus, les hyphes de ces mycètes peuvent se contracter et se replier en fonction de l’humidité. Ces cycles de contraction / repliement conduisent à des dommages de type mécanique sur la roche.
Plusieurs des mycètes identifiés dans cette études tels que Penicillium, Alternaria ou Aspergillus présentent un risque pour les humains car ils sont pathogènes opportunistes ou présentent un risque d’allergie.
Quelles sont les bactéries trouvées sur les murs du château fort ?
L’utilisation du microscope électronique permet d’observer des bactéries qui colonisent des trous microscopiques dans le mur. Les analyses révèlent que ces bactéries appartenant à la famille des Bacillaceae sont majoritaires à la fois dans les prélèvements sur le mur et dans l’air de la pièce. Tout comme les mycètes, certaines bactéries détectées vont avoir un impact négatif sur les minéraux du murs. C’est notamment le cas de bactéries qui sont capables de dégrader les minéraux contenant des atomes de fer en produisant des molécules appelées sidérophores.
Les bactéries libèrent des sidérophores pour capturer le fer présent dans les roches. Ces molécules se lient au fer (Fe) et permettent aux bactéries de récupérer ce métal essentiel, tout en contribuant à la dégradation des minéraux.
Mais au contraire des mycètes qui peuvent avoir un impact négatif, d’autres bactéries pourraient avoir une action positive via un mécanisme appelé biocalcification [9]. Celui correspond à la production de carbonate de calcium (CaCO3) à l’état solide à partir de composée dissous dans l’eau (comme l’urée). L’ajout carbonate de calcium sous forme minérale permettant ainsi de « combler » des fissures dans le murs et donc réduire la biodétérioration.
Des bactéries du genre Amycolatopsis sont également abondantes sur le mur, et sont connues pour la production d’antibiotiques qui une fois libérés dans l’environnement peuvent réduire la croissance d’autres bactéries potentiellement néfastes.
Perspectives de l’étude
La présence de micro-organismes néfastes pour les murs a été confirmée dans cette étude. Néanmoins, ces micro-organismes ne sont pas prêts de faire tomber les murs de ce château fort. Les dégâts causés ne sont pas suffisants à eux seuls.
Les résultats de cette étude aideront à mieux comprendre quels sont les micro-organismes impliqués dans la biodétérioration et donc à mieux protéger des structures d’intérêts culturels. Dans le cas de surfaces à l’intérieur d’un bâtiment, il est possible de réguler la croissance des micro-organismes, en modifiant des paramètres comme la température, l’humidité ou l’éclairage. Les informations sur la biodétérioration, obtenues dans cette étude, peuvent être utiles aux architectes et conservateurs pour prendre des mesures de préventions.
Comment éliminer les micro-organismes responsables de biodétérioration ?
Les mesures préventives peuvent ne pas suffire ce qui conduit à l’utilisation de techniques curatives pour réduire le développement microbien [11]. Pour cela plusieurs approches sont possibles tels qu’un retrait mécanique (par exemple en grattant ou avec des méthodes abrasives), une élimination avec des méthodes physiques ou des agents biocides peuvent être utilisés. Ces méthodes peuvent avoir des impacts négatifs sur la roche ce qui a conduit à la mise en place de nouvelles méthodes plus « douces ». Par exemple des tests ont été montré que des huiles essentielles étaient efficaces contre les biofilms se formant sur le Colisée de Rome en Italie [12]. Des micro-organismes « positifs » peuvent aussi être utilisés pour lutter contre la biodétérioration [13].
Bibliographie
Dyda, M., Pyzik, A., Wilkojc, E., Kwiatkowska-Kopka, B., & Sklodowska, A. (2019). Bacterial and fungal diversity inside the medieval building constructed with sandstone plates and lime mortar as an example of the microbial colonization of a nutrient-limited extreme environment (Wawel Royal Castle, Krakow, Poland). Microorganisms, 7(10), 416. doi:10.3390/microorganisms7100416 (lien)
Pour plus d’informations
[1] Mazzoli, R., Giuffrida, M. G., & Pessione, E. (2018). Back to the past:“Find the guilty bug—microorganisms involved in the biodeterioration of archeological and historical artifacts”. Applied microbiology and biotechnology, 102, 6393-6407. (lien)
[2] Negi, A., & Sarethy, I. P. (2019). Microbial biodeterioration of cultural heritage: Events, colonization, and analyses. Microbial ecology, 78(4), 1014–1029. doi.org/10.1007/s00248-019-01366-y (lien)
[3] El Jaddaoui, I., Ghazal, H., & Bennett, J. W. (2023). Mold in paradise: A review of fungi found in libraries. Journal of fungi (Basel, Switzerland), 9(11), 1061. doi.org/10.3390/jof9111061 (lien)
[4] Zhgun, A., Avdanina, D., Shumikhin, K., Simonenko, N., Lyubavskaya, E., VolkovI, et al. (2020) Detection of potential biodeterioration risks for temper a painting in 16th century exhibits from State Tretyakov Gallery.PLoS ONE 15(4):e0230591. doi.org/10.1371/journal.pone.023059 (lien)
[5] Gadd, G. M. (2017). Geomicrobiology of the built environment. Nature Microbiology, 2(4). doi:10.1038/nmicrobiol.2016.275 (lien)
[6] Ng, D. H. P., Kumar, A., & Cao, B. (2016). Microorganisms meet solid minerals: Interactions and biotechnological applications. Applied Microbiology and Biotechnology, 100(16), 6935–6946. doi:10.1007/s00253-016-7678-2 (lien)
[7] Site internet du château fort du Wawel (en anglais ou polonais)
[8] Histoire du château fort du Wawel (en anglais ou polonais)
https://medievalheritage.eu/en/main-page/heritage/poland/krakow-royal-castle/
[9] Vashisht, R., Attri, S., Sharma, D., Shukla, A., & Goel, G. (2018). Monitoring biocalcification potential of Lysinibacillus sp. isolated from alluvial soils for improved compressive strength of concrete. Microbiological research, 207, 226–231. doi.org/10.1016/j.micres.2017.12.010 (lien)
[10] Elgendy, I. M., Elkaliny, N. E., Saleh, H. M., Darwish, G. O., Almostafa, M. M., Metwally, K., Yahya, G., & Mahmoud, Y. A. (2024). Bacteria-powered self-healing concrete: Breakthroughs, challenges, and future prospects. Journal of industrial microbiology & biotechnology, 52, kuae051. doi.org/10.1093/jimb/kuae051 (lien)
[11] Pinna, D. (2023). Microbial recolonization of artificial and natural stone artworks after cleaning and coating treatments. Journal of Cultural Heritage, 61, 217-228. (lien)
[12] Ranalli, G., & Zanardini, E. (2021). Biocleaning on Cultural Heritage: new frontiers of microbial biotechnologies. Journal of applied microbiology, 10.1111/jam.14993. Advance online publication. doi.org/10.1111/jam.14993 (lien)
[13] Ranaldi, R., Rugnini, L., Migliore, G., Tasso, F., Gabriele, F., Spreti, N., Scuderi, F., Braglia, R., Di Martino, P., Pujia, A., & Canini, A. (2025). The role of essential oils as eco-friendly strategy to control biofilm collected in the Colosseum (Rome, Italy). Applied microbiology and biotechnology, 109(1), 48. doi.org/10.1007/s00253-025-13433-1 (lien)
L’image d’introduction est basée sur ‘Comment le captal de beuth fut pris a la bataille de subize..’, de Jean Froissart Les Chroniques d’Angleterre. vol. I, f. 341v (lien)
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