Comment le chocolat modifie notre humeur et les bactéries de notre microbiome ?

Temps de lec­ture : 7 minutes

De nom­breux bien­faits sont accor­dés au cho­co­lat : lutte contre le stress, effet aphro­di­siaque, réduc­tion de la ten­sion arté­rielle, … Parmi ces bien­faits, le cho­co­lat est aus­si sou­vent consi­dé­ré comme un ali­ment récon­fort capable de dimi­nuer l’anxiété. Cet effet est-il vrai­ment obser­vable et si oui com­ment cela fonctionne-t-il ?

Le chocolat : un aliment anti-anxiété ?

Plusieurs études scien­ti­fiques ont mon­tré que le cho­co­lat noir rédui­sait l’anxiété chez les per­sonnes qui en consomment [1]. Cela pour­rait être dû à des molé­cules, appe­lées poly­phé­nols, que l’on trouve dans le cacao uti­li­sé dans la recette du cho­co­lat. Ces molé­cules ont plu­sieurs pro­prié­tés telles qu’an­ti-oxy­dant ou anti-inflam­ma­toire [2]. Néanmoins les méca­nismes impli­qués dans cet effet anti-anxié­té du cho­co­lat ne sont pas encore tota­le­ment élucidés.

Exemple de polyphénols trouvés dans le chocolat
Exemple de poly­phé­nols trou­vés dans le cho­co­lat. Ceux-ci sont des molé­cules pro­duites par les plantes pour résis­ter à des stress (méta­bo­lites secon­daires). Ils sont peu assi­mi­lés par l’organisme humain et peuvent donc être uti­li­sés par les micro-orga­nismes et favo­ri­ser leur croissance.

Une piste pour expli­quer la réduc­tion de l’an­xié­té par le cho­co­lat serait que cet ali­ment agit sur le micro­biome intes­ti­nal. En effet, l’in­tes­tin est une par­tie du corps humain riche en micro-orga­nismes mais qui est éga­le­ment entou­rée par de nom­breux neu­rones. Ces neu­rones forment le sys­tème ner­veux enté­rique qui vaut par­fois le sur­nom de “second cer­veau” à l’in­tes­tin. Des études ont mon­tré que les molé­cules pro­duites par le micro­biome intes­ti­nal pou­vaient avoir un effet sur ces neu­rones qui influencent à leur tour le cer­veau [3]. Pour véri­fier cette hypo­thèse, une étude scien­ti­fique, sur le lien entre le rôle anti-anxié­té du cho­co­lat noir et le micro­biome intes­ti­nal, a été réa­li­sée en Corée du sud.

Le cer­veau est capable d’in­fluen­cer les sécré­tions de l’in­tes­tin ain­si que sa moti­li­té et même la com­po­si­tion du micro­biome (via le sys­tème immu­ni­taire). L’intestin a lui aus­si un impact sur le cer­veau notam­ment via la pro­duc­tion de méta­bo­lites et de neu­ro­trans­met­teurs par le micro­biome intes­ti­nal qui contient envi­ron 1014 bac­té­ries (soit 100 000 000 000 000) [4].

Comment s’est déroulée l’étude ?

Dans le cadre de cette étude scien­ti­fique, 48 par­ti­ci­pants ont été recru­tés puis pla­cés dans un des trois groupes sui­vants : témoin, cho­co­lat noir avec 70 % de cacao ou cho­co­lat noir avec 85 % de cacao. Les par­ti­ci­pants des groupes cho­co­lats (70 et 85 %) sont invi­tés à man­ger trois fois par jour 10 grammes de cho­co­lat pen­dant 3 semaines.

Groupes de l'étude
Les par­ti­ci­pants sont des hommes et femmes entre 20 et 30 ans. Il n’y a pas de dif­fé­rences de tailles, de poids ou d’indice de masse cor­po­relle entre les dif­fé­rents par­ti­ci­pants. Des cri­tères comme l’absence de trai­te­ment anti­bio­tiques ou pré­bio­tiques et pro­bio­tiques sont néces­saires pour s’assurer que le micro­biome intes­ti­nal est stable.

Un sui­vi des habi­tudes ali­men­taires et de l’hu­meur des par­ti­ci­pants est réa­li­sé. Un test psy­chia­trique pour mesu­rer la dépres­sion est éga­le­ment inclus dans l’é­tude. Pour étu­dier la diver­si­té du micro­biome intes­ti­nal, les par­ti­ci­pants sont invi­tés à rame­ner des échan­tillons de leurs matières fécales avant et après l’étude. La diver­si­té bac­té­rienne, pré­sente dans ces échan­tillons, est étu­diée par une tech­nique appe­lée méta­gé­no­mique (ici qui consiste à séquen­cer le gène de l’ARNr 16S pour l’en­semble des bac­té­ries présentes).

schéma simplifié du protocole de métagénomique utilisé dans cette étude.

Le chocolat réduit les pensées négatives

Cette étude montre que la consom­ma­tion de cho­co­lat n’aurait pas d’effets sur les pen­sées posi­tives. Par contre cet ali­ment rédui­rait les pen­sées néga­tives chez les per­sonnes consom­mant du cho­co­lat à 85 % de cacao tan­dis que les résul­tats sont simi­laires entre le groupe 70 % et témoin.

Effets du chocolat sur l'humeur

Des études pré­cé­dentes avaient mon­tré que les effets du cho­co­lat sur l’humeur dépen­daient de la quan­ti­té de cacao qu’il conte­nait. Plus il y a de cacao et plus les effets sont impor­tants. Cela va dans le sens de ces nou­veaux résul­tats puis­qu’il n’y a pas d’ef­fets pour la plus faible des deux concen­tra­tions (cho­co­lat à 70 % de cacao). 

Le chocolat modifie-t’il la composition du microbiome intestinal ?

L’étude des matières fécales per­met d’ob­ser­ver une plus grande diver­si­té de bac­té­ries pour le groupe cho­co­lat 85 % com­pa­ré au groupe témoin. Parmi les espèces bac­té­riennes qui varient, on trouve notam­ment Blautia obeum qui est plus abon­dante contrai­re­ment à Faecalibacterium praus­nit­zii qui est moins pré­sente chez le groupe man­geant du cho­co­lat 85 %. Cette aug­men­ta­tion de la diver­si­té du micro­biome pour­rait-elle être liée à l’a­mé­lio­ra­tion de l’humeur ?

Carte d'identité de Blautia obeum et Faecalibacterium prausnitzii

Comment expliquer l’effet des bactéries sur l’humeur ?

Dans cette étude, la bac­té­rie Blautia obeum est retrou­vée de façon plus fré­quente chez les per­sonnes consom­mant du cho­co­lat noir à 85 % de cacao. Les poly­phé­nols pro­ve­nant du cho­co­lat sti­mu­le­raient la crois­sance de cette bac­té­rie ce qui expli­que­rait sa plus forte abon­dance. Elle pour­rait être impli­quée dans l’a­mé­lio­ra­tion de l’hu­meur obser­vée chez les par­ti­ci­pants de l’étude.

Blautia obeum est capable de pro­duire du buty­rate, une molé­cule connue pour avoir un effet posi­tif sur l’humeur [56]. Les scien­ti­fiques émettent donc l’hypothèse que l’effet obser­vé soit dû à la pro­duc­tion de buty­rate par cette bac­té­rie. Cette molé­cule pro­duite par la bac­té­rie pour­rait agir sur le sys­tème ner­veux enté­rique et ain­si avoir un effet pas­sant par l’axe intes­tin /​ cer­veau.

La bac­té­rie Blautia obeum ferait donc par­tie du groupe des “psy­cho­bio­tiques” qui cor­res­pond aux micro-orga­nismes ayant un effet béné­fique sur la san­té men­tale. L’hypothèse pro­po­sée par les scien­ti­fiques, est confor­tée par les résul­tats d’une étude pré­cé­dente où Blautia obeum avait été trou­vée plus fré­quente dans le micro­biome de per­sonnes en bonne san­té com­pa­ré à d’autres avec des troubles psychiatriques.

Illustration bactéries psychobiotiques

La bac­té­rie Faecalibacterium est moins pré­sente dans le groupe cho­co­lat noir 85 %. Ce résul­tat peut paraître étrange car cette bac­té­rie est connue éga­le­ment pour être un psy­cho­bio­tique [7]. Elle avait déjà été trou­vée de façon plus abon­dante chez des per­sonnes « saines » com­pa­rées à d’autres souf­frant de dépres­sion. Des études chez la sou­ris ont mon­tré que l’in­jec­tion de cette bac­té­rie rédui­sait le stress et l’an­xié­té. Elle est éga­le­ment connue pour être l’un des prin­ci­pales membres du micro­biome humain pro­dui­sant du buty­rate. Les rai­sons de cette dimi­nu­tion ne sont pas encore expliquées.

Limites de l’étude

L’une des limites de cette étude mise en avant par les scien­ti­fiques est l’absence d’un pla­cé­bo pour le groupe témoin. En effet, ces par­ti­ci­pants ne consomment pas de cho­co­lat ni un autre ali­ment à la place. Un autre biais, sou­li­gné par les auteurs, est que l’humeur est déter­mi­née par les par­ti­ci­pants eux même et non par quelqu’un d’externe (et donc à prio­ri plus objectif).

Perspectives de l’étude

Cette étude rejoint celles mon­trant un lien entre le micro­biome intes­ti­nal et l’humeur. Les poly­phé­nols du cho­co­lat noir auraient un effet pré­bio­tique en sti­mu­lant la crois­sance de micro-orga­nismes béné­fiques pour l’humeur. De nou­velles études seront néces­saires pour mieux com­prendre quels sont ces micro-orga­nismes et com­ment ils agissent sur l’humeur.

D’autres ali­ments conte­nant des poly­phé­nols pour­raient avoir des effets simi­laires [8]. Par exemple le resvé­ra­trol, un poly­phé­nol conte­nu dans des fruits comme le rai­sin, est aus­si connu pour modi­fier le micro­biome intes­ti­nal et amé­lio­rer l’hu­meur [9]. Le thé est un autre exemple d’a­li­ment riche en poly­phé­nols et qui per­met­trait de lut­ter contre l’an­xié­té [10].

Référence de l’étude

Shin, J. H., Kim, C. S., Cha, L., Kim, S., Lee, S., Chae, S., Chun, W. Y., & Shin, D. M. (2022). Consumption of 85% cocoa dark cho­co­late improves mood in asso­cia­tion with gut micro­bial changes in heal­thy adults : A ran­do­mi­zed control­led trial. The Journal of nutri­tio­nal bio­che­mis­try, 99, 108854. https://​doi​.org/​10​.​1016​/​j​.​j​n​u​t​b​i​o​.​2021​.​108854 (lien)


Références biblio­gra­phiques

[1] Tsang, C., Hodgson, L., Bussu, A., Farhat, G., & Al-Dujaili, E. (2019). Effect of poly­phe­nol-rich dark cho­co­late on sali­va­ry cor­ti­sol and mood in Adults. Antioxidants (Basel, Switzerland), 8(6), 149. (lien)

[2] Fraga, C. G., , Croft, K. D., , Kennedy, D. O., , & Tomás-Barberán, F. A., (2019). The effects of poly­phe­nols and other bio­ac­tives on human health. Food & func­tion, 10(2), 514528. (lien)

[3] Margolis, K. G., Cryan, J. F., & Mayer, E. A. (2021). The micro­bio­ta-gut-brain axis : From moti­li­ty to mood. Gastroenterology, 160(5), 14861501. doi​.org/​10​.​1053​/​j​.​g​a​s​t​r​o​.​2020​.​10​.​066 (lien)

[4] Sender, R., Fuchs, S., & Milo, R. (2016). Revised esti­mates for the num­ber of human and bac­te­ria cells in the body. PLoS Biology, 14(8), e1002533. doi:10.1371/journal.pbio.1002533 (lien) 

[5] Liu, X., Mao, B., Gu, J., Wu, J., Cui, S., Wang, G., Zhao, J., Zhang, H., & Chen, W. (2021). Blautia-a new func­tio­nal genus with poten­tial pro­bio­tic pro­per­ties?. Gut microbes, 13(1), 121. (lien)

[6] Lawson, P. A., & Finegold, S. M. (2015). Reclassification of Ruminococcus obeum as Blautia obeum comb. nov. International jour­nal of sys­te­ma­tic and evo­lu­tio­na­ry micro­bio­lo­gy, 65(Pt 3), 789793. https://​doi​.org/​10​.​1099​/​i​j​s​.​0​.​000015 (lien)

[7] Hao, Z., Wang, W., Guo, R., & Liu, H. (2019). Faecalibacterium praus­nit­zii (ATCC 27766) has pre­ven­tive and the­ra­peu­tic effects on chro­nic unpre­dic­table mild stress-indu­ced depres­sion-like and anxie­ty-like beha­vior in rats. Psychoneuroendocrinology, 104, 132142. (lien)

[8] Zhou, NIan ; Gu, Xinyi ; Zhuang, Tongxi ; Xu, Ying ; Yang, Li ; Zhou, Mingmei (2020). Gut micro­bio­ta : A pivo­tal hub for poly­phe­nols as anti­de­pres­sants. Journal of Agricultural and Food Chemistry, (), acs.jafc.0c01461–. (lien)

[9] Chung, J. Y., Jeong, J. H., & Song, J. (2020). Resveratrol modu­lates the gut-brain axis : Focus on glu­ca­gon-like peptide‑1, 5‑HT, and gut micro­bio­ta. Frontiers in aging neu­ros­cience, 12, 588044. (lien)

[10] Rothenberg, D. O., & Zhang, L. (2019). Mechanisms under­lying the anti-depres­sive effects of regu­lar tea consump­tion. Nutrients, 11(6), 1361. (lien)

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