Qui sont les microbiologistes ukrainiens ?

Temps de lec­ture : 6 minutes

L’Ukraine fait actuel­le­ment l’ac­tua­li­té suite à son inva­sion par la Russie en février 2022. Les noms de villes ukrai­niennes comme Kyiv ou Odessa reviennent régu­liè­re­ment dans les infor­ma­tions et les jour­naux. Plusieurs micro­bio­lo­gistes célèbres sont nés et ont tra­vaillé dans ces villes, en Ukraine. Voici le por­tait de cer­tains d’entre eux. Ce sujet de blog est basé en par­tie sur la tra­duc­tion d’un tweet de Lewis Bingle (@microbingle).

tweet de Lewis Bingle
Capture d’é­cran du tweet sur les micro­bio­lo­gistes ukrai­niens (lien).

Ilya Iljitsj Metsjnikov

Ilya Iljitsj Metsjnikov (fran­ci­sé en Élie Metchnikoff) est né en 1845 à Ivanovka près de Kharkiv, actuelle Ukraine [12]. Il est connu pour sa décou­verte du méca­nisme de pha­go­cy­tose, qui lui a valu le prix Nobel en méde­cine en 1908.

Portait de Metchnikoff
Portait de Metchnikoff (source ; image dans le domaine public)

Le rôle pro­bio­tique des yaourts a été pro­po­sé par Élie Metchnikof qui a consta­té une espé­rance de vie plus longue chez les popu­la­tions bul­gares, qui consom­maient régu­liè­re­ment des yaourts, com­pa­ré aux autres peuples euro­péens. Cet effet béné­fique pour la san­té est dû aux bac­té­ries lac­tiques conte­nues dans le yaourt : Streptococcus ther­mo­phi­lus et Lactobacillus bul­ga­ri­cus.

Il fon­da, avec Nikolay Gamaleya, une sta­tion d’ob­ser­va­tion bac­té­rio­lo­gique à Odessa en juin 1886. Ce fut le pre­mier ins­ti­tut hors de Paris à dis­tri­buer des vac­cins anti­ra­biques. Des recherches sur la typhoïde, le cho­lé­ra ou la tuber­cu­lose y furent menées. Cette sta­tion a aus­si eu une acti­vi­té d’en­sei­gne­ment en microbiologie.

Photographie de la sta­tion d’ob­ser­va­tion bac­té­rio­lo­gique d’Odessa (source ; image dans le domaine public).

En 1888, Élie Metchnikof vient mener des recherches scien­ti­fiques à l’ins­ti­tut Pasteur en France où il tra­vailla jus­qu’à sa mort le 15 juillet 1916.

Sergei Winogradsky

Sergei Winogradsky est né à Kyiv (Kiev) en 1856 qui fai­sait alors par­tie de l’empire Russe [34]. Il est connu pour être l’un des pion­niers de l’é­co­lo­gie micro­bienne et pour son tra­vail sur les cycles bio­géo­chi­miques. Il voya­gea dans plu­sieurs pays et tra­vailla notam­ment à l’u­ni­ver­si­té de Strasbourg, en 1885 (avec Anton de Barry). À Strasbourg, il étu­dia une bac­té­rie fila­men­teuse oxy­dant le sul­fure d’hy­dro­gène (H2S) et for­mant des gra­nules de soufre : Beggiatoa. À la fin de sa vie, il vient tra­vailler à l’ins­ti­tut Pasteur en France où il mou­rut en 1953.

Portrait de Winogradsky

Portrait de Winogradsky (source ; image dans le domaine publique)

Pour étu­dier les bac­té­ries de l’en­vi­ron­ne­ment, il a mis en place une méthode uti­li­sant des éprou­vettes /​ cylindres de verre rem­plis d’eau et de sédi­ments. Une fois la colonne fer­mée, des condi­tions anoxiques (absence de dioxy­gène) se mettent en place, au fond du tube, ce qui per­met de simu­ler l’éco­sys­tème d’un fond de lac. Ce dis­po­si­tif expé­ri­men­tal porte main­te­nant son nom : colonne de Winogradsky.

Les micro-orga­nismes vont se déve­lop­per à dif­fé­rents niveaux de la colonne et modi­fier l’en­vi­ron­ne­ment. Selon la com­po­si­tion des sédi­ments et de l’eau, des strates dif­fé­rentes vont se for­mer dans la colonne sous l’ac­tion des micro-organismes.

Nikolay Gamaleya

Nikolay Gamaleya est né à Odessa en 1859. Il a tra­vaillé avec Louis Pasteur puis a par­ti­ci­pé avec Metchnikoff à la créa­tion d’une sta­tion d’ob­ser­va­tion bac­té­rio­lo­gique à Odessa en 1896 [5]. Il en fut le direc­teur de 1899 à 1908. Il tra­vailla notam­ment sur la pro­pa­ga­tion de la peste par les rats des navires mais aus­si sur la mise au point de vaccins.

Portrait de Gamaleya
Portrait de Gamaleya (source ; image dans le domaine public)

Un exemple de ses décou­vertes fut l’iso­le­ment, en 1888 à Odessa, d’une bac­té­rie res­pon­sable d’une mala­die simi­laire au cho­lé­ra chez l’oi­seau [6]. Il la nom­ma Vibrio met­sch­ni­ko­vii en hom­mage à Élie Metchnikoff.

Vibrio met­sch­ni­ko­vii a été iso­lée chez des poules mais elle est éga­le­ment patho­gène pour des pigeons. Cette bac­té­rie qui est retrou­vée habi­tuel­le­ment dans l’eau peut dans de rares cas cau­ser une infec­tion chez les humains [7].

Selman Waksman

Selman Waksman est né en 1888 à Novaya-Priluka près de Kyiv (Kiev) qui fai­sait alors par­tie de l’empire Russe. Il est connu pour son tra­vail sur les anti­bio­tiques [810]. Il obtient en 1952, un prix Nobel pour sa décou­verte de la strep­to­my­cine avec l’aide d’Albert Schatz.

Portrait de Waksman
Portrait de Waksman (source ; image dans le domaine public)

La strep­to­my­cine était le pre­mier anti­bio­tique effi­cace contre, Mycobacterium tuber­cu­lo­sis, la bac­té­rie res­pon­sable de la tuberculose.

Streptomycine
Cet anti­bio­tique se fixe sur l’ARNr 16S du ribo­some (petite sous-uni­té) ce qui empêche la syn­thèse de pro­téines. Actuellement, des souches deviennent résis­tantes à cet anti­bio­tique ce qui néces­site la mise en place de nou­veaux traitements.

Nina Strokata Karavanska

Nina Strokata Karavanska est une micro­bio­lo­giste née en 1926 à Odessa. En 1971, elle a été condam­née par le régime sovié­tique à quatre ans de pri­son pour acti­visme [11]. Son crime a été d’a­voir défen­du son mari qui lui même était condam­né pour son acti­visme contre le régime sovié­tique. Suite à cette arres­ta­tion, un comi­té de sou­tien a été mon­té pour la défendre. Des péti­tions furent signées pour la déli­vrer, dont notam­ment une par les membres de l’as­so­cia­tion amé­ri­caine pour la micro­bio­lo­gie, en 1973 [12].

Yakov Yulievich Bardakh

Aussi connu sous le nom fran­ci­sé de Jacob Bardac. Il tra­vailla à la sta­tion de micro­bio­lo­gie d’Odessa où il fut le pre­mier à rece­voir une dose de vac­cin anti­ra­bique. Ses recherches eurent pour thème notam­ment la mise au point d’un vac­cin contre l’anthrax. En 1887, il don­na les pre­miers cours de micro­bio­lo­gie à la sta­tion d’Odessa qui se trou­vait alors dans l’empire Russe. Il conti­nua à ensei­gner la micro­bio­lo­gie et for­mer des méde­cins, mal­gré les périodes trou­blées telles que la pre­mière guerre mon­diale et la révo­lu­tion d’oc­tobre 1917 qui mena à l’in­dé­pen­dance de l’Ukraine puis à l’in­va­sion de l’Ukraine par l’URSS. 

Références bibliographiques

[1] Mackowiak, P. A. (2013). Recycling metch­ni­koff : Probiotics, the intes­ti­nal micro­biome and the quest for long life. Frontiers in public health, 1, 52. https://​doi​.org/​10​.​3389​/​f​p​u​b​h​.​2013​.​00052 (lien)

[2] Gordon S. (2016). Elie Metchnikoff, the man and the myth. Journal of innate immu­ni­ty, 8(3), 223227. https://​doi​.org/​10​.​1159​/​000443331 (lien)

[3] Moshynets, O., Boretska, M., & Spiers, A. J. (2013). From Winogradsky’s column to contem­po­ra­ry research using bac­te­rial micro­cosms. In C. C. Harris (Ed.), Microcosms : eco­lo­gy, bio­lo­gi­cal impli­ca­tions and envi­ron­men­tal impact (Microbiology Research Advances). Nova Publishers. (lien)

[4] Dworkin M. & Gutnick, D. (2012). Sergei Winogradsky : a foun­der of modern micro­bio­lo­gy and the first micro­bial eco­lo­gist. FEMS micro­bio­lo­gy reviews, 36(2), 364379. https://doi.org/10.1111/j.15746976.2011.00299.x (lien)

[5] http://​onu​.edu​.ua/​e​n​/​s​t​r​u​c​t​u​r​e​/​f​a​c​u​l​t​y​/​b​i​o​/​m​i​c​r​o​b​i​o​/​h​i​s​t​o​r​y​-​o​f​-​t​h​e​-​d​e​p​a​r​t​m​ent (consul­té le 28 février 2022)

[6] Gamaléia, M. N. (1888) Vibrio met­sch­ni­ko­vi (n. sp.) et ses rap­ports avec le microbe du cho­lé­ra asia­tique. Annales de l’Institut Pasteur (Paris). 2, 482488 https://​www​.bio​di​ver​si​ty​li​bra​ry​.org/​i​t​e​m​/​22137​#​p​a​g​e​/​538​/​m​o​d​e​/​1up (consul­té le 28 février 2022)

[7] Konechnyi, Y., Khorkavyi, Y., Ivanchuk, K., Kobza, I., Sękowska, A., & Korniychuk, O. (2021). Vibrio met­sch­ni­ko­vii : Current state of know­ledge and dis­cus­sion of recent­ly iden­ti­fied cli­ni­cal case. Clinical case reports, 9(4), 22362244. https://​doi​.org/​10​.​1002​/​c​c​r​3​.​3999 (lien)

[8] Woodruff, H. B. (2014). Selman A. Waksman, win­ner of the 1952 Nobel Prize for phy­sio­lo­gy or medi­cine. Applied and envi­ron­men­tal micro­bio­lo­gy, 80(1), 28. https://doi.org/10.1128/AEM.0114313 (lien)

[9] Waksman, S. A., Schatz, A., & Reynolds, D. M. (2010). Production of anti­bio­tic sub­stances by acti­no­my­cetes. Annals of the New York Academy of Sciences, 1213, 112124. https://doi.org/10.1111/j.17496632.2010.05861.x (lien)

[10] Waksman, S. A. (2010). Antibiotic sub­stances-contri­bu­tion of the micro­bio­lo­gist. Annals of the New York Academy of Sciences, 1213, 107111. https://doi.org/10.1111/j.17496632.2010.05860.x (lien)

[11] Derevinskyi, V. (2015). Ukrainian human rights orga­ni­za­tion (19711972) European Journal of Social and Human Sciences, 2015, Vol.(5), Is. 1 1923 (lien)

[12] Zwarun, A. A.(1973) The case of Nina Strokata. Science, Vol 181, Issue 4097, p. 300 (lien)

[13] Kuznetsov, V. A. (2014). Professor Yakov Yulievich Bardakh (18571929): pio­neer of bac­te­rio­lo­gi­cal research in Russia and Ukraine. Journal of Medical Biography, 22(3), 136144. doi:10.1177/0967772013479545 (lien)

L’image de pro­fil, est ins­pi­rée d’une pho­to du Dr. Petra Levin (lien)

Pour par­ta­ger :

0 réflexion sur “Qui sont les microbiologistes ukrainiens ?”

  1. Merci pour cet article qui m’a fait décou­vrir de nom­breux micro­bio­lo­gistes ! J’avoue que je ne connais­sais aucun de ceux-là pour­tant leurs décou­vertes res­pec­tives sont loin d’être ano­dines ! Tous ces hommes ont tra­vaillé il y a plu­sieurs décen­nies en arrière, qu’en est-il des micro­bio­lo­gistes d’aujourd’hui ?

    1. B

      Merci pour le commentaire.
      En effet, dans ce billet, j’ai sur­tout par­lé de cer­tains des pion­niers de la micro­bio­lo­gie en Ukraine. Actuellement, l’Ukraine compte de nom­breux micro­bio­lo­gistes qui tra­vaillent sur dif­fé­rents sujets.
      J’ai pré­vu de par­ler, dans un pro­chain billet, des recherches de Natalia Kozyrovska, qui tra­vaille à Kyiv à l’académie natio­nale des sciences d’Ukraine. Ses tra­vaux concernent notam­ment l’apport d’une bois­son fer­men­té, le kom­bu­cha, pour l’exploration spatiale.
      Depuis le début de la guerre en Ukraine, plu­sieurs ins­ti­tuts de recherche dans le monde ont mis en place des pro­grammes pour accueillir des scien­ti­fiques ukrai­niens et leur per­mettre de conti­nuer leurs recherches. Par exemple, en France, l’Institut Pasteur (lien) ou le CNRS via le pro­gramme PAUSE (mis en place en 2017 ; lien).
      En paral­lèle, des scien­ti­fiques demandent aus­si de tels pro­grammes d’é­changes pour les cher­cheurs russes qui sou­haitent fuir les répres­sions dans leur pays (lien).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *