Voulez-vous une rondelle de citron ?
Posté : 28 avril 2024 / Mis-à-jour : 28 avril 2024
Temps de lecture : 10 minutes
Ajouter une rondelle de citron à une boisson est une pratique courante dans les bars et les restaurants pour le côté esthétique ou gustatif. Bien que ce geste soit anodin, il a été l’objet en 2007 d’une étude scientifique fortement reprise par les médias. Dans cet article deux scientifiques ont recherché les micro-organismes présents sur ces rondelles et se questionnent à propos de leur dangerosité pour la santé humaine.
Prélèvement des micro-organismes sur les rondelles de citron
Pour cette étude, des prélèvements ont été réalisés sur 76 rondelles de citron provenant de sodas ou d’eau. Ces prélèvements ont été menés dans 21 établissements différents (au cours de 43 visites) sans avoir prévenu au préalable les restaurants et avant que la boisson soit consommée. Deux écouvillons sont utilisés, l’un pour le zeste du citron et l’autre pour la pulpe.
Quels sont les micro-organismes présents ?
Une fois de retour au laboratoire, les micro-organismes prélevés via les écouvillons sont ensemencés sur deux milieux de cultures différents afin d’isoler les micro-organismes présents et de pouvoir les identifier.
Après un à deux jours de croissance, les micro-organismes ayant formé des colonies sont isolés puis identifiés. Pour cela, une coloration de Gram est préparée pour observer au microscope les micro-organismes et commencer l’identification en se basant sur leur coloration et morphologie. Une galerie d’identification est également réalisée ainsi que des tests enzymatiques pour déterminer le métabolisme de ces micro-organismes et ainsi déterminer à quelle espèce ils appartiennent.
Suite à ces expériences, des micro-organismes ont pu être obtenus à partir des prélèvements de 53 des 76 tranches de citron (environ 70 % des citrons). Ces échantillons ont permis d’isoler et d’identifier 25 micro-organismes (bactéries et levures).
Un nombre de micro-organismes sous-estimé ?
Le nombre de micro-organismes identifiés est sûrement sous-estimé par rapport à la réalité et correspond uniquement à ceux qui ont réussi à se développer sur les milieux de cultures et dans les conditions testées. S’il y avait eu plus de milieux de cultures et de conditions testées, le nombre de micro-organismes isolés sur les rondelles de citron aurait pu être plus important.
Il faut également tenir compte que les bactéries et les levures ne sont pas les seuls micro-organismes que l’on peut trouver sur la nourriture. Des moisissures (des mycètes comme les levures), des virus ou des protozoaires peuvent aussi être présents mais leur présence n’a pas été testée dans cette étude ce qui conduit à sous-estimer le nombre de micro-organismes obtenu.
Les micro-organismes identifiés sont-ils dangereux ?
Les résultats de l’étude indiquent que tous les microbes identifiés sur les rondelles de citrons sont potentiellement pathogènes pour les humains et pourraient donc présenter un risque pour la santé : on parle de pathogènes opportunistes. Lorsque les conditions sont favorables pour ces micro-organismes, par exemple un système immunitaire affaibli, ils peuvent déclencher une infection. Néanmoins, cela n’est pas systématique et la présence de ces microbes ne signifie pas que consommer une boisson avec une rondelle de citron va rendre obligatoirement malade. D’ailleurs les auteurs de l’article scientifique indiquent ne pas avoir trouvé d’études mettant en avant un lien entre une épidémie et les rondelles de citron accompagnant des boissons.
L’ingestion d’un micro-organisme pathogène opportuniste n’entraine pas forcément une maladie. Le fait de tomber malade dépend de la quantité de microbes ingérés ainsi que d’autres paramètres tels que l’état de santé et l’âge de la personne. Cette étude constate seulement la présence de ces micro-organismes mais sans les avoir quantifiés sur les rondelles de citron. Il n’est donc pas possible de savoir si la quantité de micro-organismes sur la rondelle de citron présente un danger ou non pour les consommateurs.
Où peut-on trouver d’autres bactéries pathogènes opportunistes ?
Nous sommes confrontés régulièrement à des microbes pathogènes opportunistes dans notre environnement. Par exemple, certaines des bactéries retrouvées dans cette étude le sont aussi sur de nombreux objets du quotidien tels que les téléphones portables, les éponges de cuisine ou les billets de banque [1 à 3].
Dans le cadre des restaurants, plusieurs études ont détecté des bactéries sur les menus (en papier ou recouverts de plastique) et ont constaté qu’elles pouvaient être transférées sur les mains des consommateurs [4, 5]. Une autre étude montre la présence de bactéries fécales sur les tables de restaurants et de bars ainsi que sur les torchons utilisés pour nettoyer ces tables [6]. La présence de bactéries sur les rondelles de citron n’est donc pas une exception.
Le citron, un aliment anti-microbien ?
Des microbes ont pu être trouvés sur les tranches de citron alors que cet aliment est connu pour ses propriétés anti-microbiennes et qu’il est même souvent utilisé comme produit de nettoyage [7]. Cette action anti-microbienne est principalement due au fait que le jus de citron est acide (pH de 2) ce qui empêche la croissance de nombreux micro-organismes. De plus des huiles essentielles sont aussi trouvées dans le citron (principalement son écorce) et celles-ci peuvent aussi permettre de limiter la croissance des micro-organismes. D’où peuvent donc venir les micro-organismes détectés dans cette étude ?
D’où viennent les microbes présents sur les rondelles de citron ?
L’origine précise de ces micro-organismes isolés n’a pas pu être déterminée dans cette étude. Les auteurs de l’étude proposent plusieurs hypothèses pour expliquer l’origine de ces microbes. Les bactéries fécales et les levures peuvent venir d’une mauvaise hygiène des cuisiniers et des serveurs. Par exemple, un mauvais lavage des mains, voire même son absence, après un passage aux toilettes. Pour limiter des contaminations à cause de ces problèmes d’hygiène, il est recommandé de ne pas toucher directement les aliments avec les mains mais d’utiliser plutôt des ustensiles tels que des pinces ou des couverts (propres) ainsi que de se laver régulièrement les mains ou également de porter des gants jetables (à changer régulièrement).
La contamination peut aussi être due à un ustensile de cuisine, non nettoyé, qui a lui même été contaminé. Dans ce cas on parle de contamination croisée.
D’autres micro-organismes détectés dans cette étude comme les Bacillus peuvent être trouvés dans l’air puis tomber sur le fruit ou sur le couteau utilisé pour couper. Ces microbes peuvent également provenir du fruit en lui-même avant son arrivée au restaurant. Certains distributeurs de fruits ajoutent même des levures sur les citrons pour retarder la croissance des moisissures (des mycètes comme les levures). Pour limiter ce risque de contamination, il est conseillé de laver les fruits et légumes avant de les cuisiner.
Comment conserver les rondelles de citron ?
Quelques années suite à cette étude, un second article scientifique s’est intéressé à la manière de conserver les rondelles de citron pour éviter ces contaminations [10]. En général, le fruit est coupé au début de la journée puis conservé à température ambiante dans la cuisine, ou au frais, jusqu’à la fin du service. Cette étude montre que conserver les rondelles au frais permet de réduire la croissance de bactéries durant la journée.
Perspectives de l’étude
Malgré les titres racoleurs de la presse, cette étude ne remet pas en cause la consommation de rondelles de citron dans les boissons au restaurant. Il est naturel de trouver des micro-organismes sur et dans la nourriture ainsi que sur tous les objets qui nous entourent. La grande majorité de ces micro-organismes sont inoffensifs pour les humains. À ce jour, il n’y a pas d’études scientifiques montrant un lien entre la consommation de boissons avec une rondelle de citron et une infection. On peut donc continuer à en consommer sans crainte.
Néanmoins, cette étude est plus un rappel des bonnes normes d’hygiènes dans le secteur de l’alimentation. Un rapport scientifique de l’ONU datant de 2015 indique que chaque année environ 1 personne sur 10 tombe malade suite à une intoxication alimentaire [11]. Ces intoxications sont mortelles pour environ 420 000 personnes par an. Respecter de bonnes normes d’hygiènes dans le secteur de l’alimentation n’est donc pas anecdotique.
Référence de l’étude
Loving, A. L., & Perz, J. (2007). Microbial flora on restaurant beverage lemon slices. Journal of Environmental Health, 70(5), 18-24. (lien)
Pour plus d’informations
[1] Ojima, M., Toshima, Y., Koya, E., Ara, K., Tokuda, H., Kawai, S., Kasuga, F., & Ueda, N. (2002). Hygiene measures considering actual distributions of microorganisms in japanese households. Journal of applied microbiology, 93(5), 800–809. doi.org/10.1046/j.1365-2672.2002.01746.x (lien)
[2] Maritz, J. M., Sullivan, S. A., Prill, R. J., Aksoy, E., Scheid, P., & Carlton, J. M. (2017). Filthy lucre: A metagenomic pilot study of microbes found on circulating currency in New York City. PLoS one, 12(4), e0175527. doi.org/10.1371/journal.pone.0175527 (lien)
[3] Kõljalg, S., Mändar, R., Sõber, T., Rööp, T., & Mändar, R. (2017). High level bacterial contamination of secondary school students’ mobile phones. Germs, 7(2), 73–77. doi.org/10.18683/germs.2017.1111 (lien)
[4] Alsallaiy, I., Dawson, P., Han, I. & Martinez-Dawson, R. (2016), Recovery, survival and transfer of bacteria on restaurant menus. Journal of Food Safety, 36(1), 52–61. doi:10.1111/jfs.12212 (lien)
[5] Sirsat, S. A., Choi, J. K., Almanza, B. A., & Neal, J. A. (2013). Persistence of Salmonella and E. coli on the surface of restaurant menus. Journal of environmental health, 75(7), 8–54. (lien)
[6] Yépiz-Gómez, M.S., Bright, K.R., & Gerba, C.P. (2006). Identity and numbers of bacteria present on tabletops and in dishcloths used to wipe down tabletops in Public Restaurants and Bars. Food protection trends. (lien)
[7] Conte, A., Speranza, B., Sinigaglia, M., & Del Nobile, M. A. (2007). Effect of lemon extract on foodborne microorganisms. Journal of food protection, 70(8), 1896–1900. doi.org/10.4315/0362-028x-70.8.1896 (lien)
[8] Onawunmi, G. O. (1989). Evaluation of the antimicrobial activity of citral. Letters in applied microbiology, 9(3), 105-108. doi.org/10.1111/j.1472-765X.1989.tb00301.x (lien)
[9] Marchese, A., Arciola, C. R., Barbieri, R., Silva, A. S., Nabavi, S. F., Tsetegho Sokeng, A. J., Izadi, M., Jafari, N. J., Suntar, I., Daglia, M., & Nabavi, S. M. (2017). Update on monoterpenes as antimicrobial agents: A particular focus on p-Cymene. Materials (Basel, Switzerland), 10(8), 947. doi.org/10.3390/ma10080947 (lien)
[10] Danyluk, M. D. (2019). Survival of Salmonella on lemon and lime slices and subsequent transfer to beverages. Food Protection Trends, 39(2), 154-161. (lien)
[11] World Health Organization. (2015). WHO estimates of the global burden of foodborne diseases: foodborne disease burden epidemiology reference group 2007-2015. World Health Organization. (lien)
Catégorie santé
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