Quel est le lien entre des bactéries, des moutons mangeant des algues et un biocarburant ?

Posté : 4 septembre 2020 / Mis-à-jour : 7 avril 2024


Temps de lecture : 6 minutes

Les algues sont une ressource renouvelable intéressante pour la production de biocarburants [1]. À partir d’algues, il est en effet possible de produire plusieurs composants de biocarburants comme de l’éthanol, des huiles et du méthane. Les algues présentes des avantages comparés à la culture de maïs ou de colza pour la fabrication de biocarburants. Par exemple, les algues étant rarement mangées par les humains, il y a donc peu de compétitions entre les ressources pour l’alimentation et le biocarburant. Des recherches scientifiques sont en cours pour optimiser la production du méthane à partir de ces algues. Le biocarburant obtenu est appelé bio gaz naturel liquéfié. Pour favoriser sa production, il faut notamment isoler des bactéries capables de transformer la matière organique des algues en méthane. Des scientifiques écossais ont recherché de telles bactéries chez un troupeau de moutons se nourrissant d’algues.

Schéma de la production de biocarburant.
Plusieurs méthodes contribuent la production de biocarburants. Parmi ces méthodes, la fermentation microbienne à partir d’algues permet la production de biogaz. Il s’agit d’un mélange de plusieurs composés tels que le méthane et le dioxyde de carbone. Pour produire du biocarburant, il faut ensuite purifier le méthane des autres gaz puis le faire passer de l’état gazeux à liquide.

Des moutons mangeant des algues

L’île de North Ronaldsay (située dans l’archipel des Orcades en Écosse) est réputée pour son troupeau de mouton se nourrissant uniquement d’algues. Ce changement de régime alimentaire est dû à la construction d’un mur en 1832 provoquant le confinement des moutons sur une plage. Cette zone qui s’étend sur 2 à 4,6 km² selon la marée, est pauvre en herbe mais dispose de nombreuses algues poussant sur les rochers ou apportées par les vagues [2].

Photographie des moutons se nourrissant d'algues.
Photographie de Ian Caldwell sous licence Creative Commons (partage dans les mêmes Conditions 3.0 non transposé ; CC BY-SA 3.0) (lien)

Des os de moutons, trouvés dans une tombe du Néolithique sur cette île, ont également été analysés et indiquent qu’ils consommaient déjà des algues à cette époque [3]. Les scientifiques supposent que les algues étaient consommées en hiver lorsque l’herbe était rare. Cela pourrait permettre d’expliquer l’adaptation de ces moutons à un changement de régime alimentaire lorsqu’ils ont été confinés.

Les moutons présents sur cette île consomment principalement des algues brunes telles que Laminaria digitata et Laminaria hyperborea [2]. Ces algues sont aussi nutritives que l’herbe mais contiennent des fibres alimentaires qui ne sont pas digérées naturellement par les moutons. Ces fibres, également appelées polysaccharides, servent notamment de forme de réserve pour les sucres produits lors de la photosynthèse.

Schéma d'une algue avec à côté la structure chimique de la laminarine.
Schéma de l’algue brune Laminaria hyperborea. Cette algue peut croître jusqu’à quatre mètres. La laminarine est un exemple de fibre alimentaire (polysaccharide) trouvée spécifiquement chez les algues brunes.

Comment font les moutons pour utiliser ces fibres alimentaires ?

Les fibres alimentaires présentes dans les algues ne sont pas les seules à ne pas être digérées naturellement par les moutons. La cellulose présente dans les plantes terrestres, comme l’herbe, n’est pas non plus digérée. Les animaux herbivores du groupe des ruminants, comme le mouton ou la vache, hébergent dans leur système digestif des micro-organismes capables de digérer ces fibres. Le rumen, le réticulum et le feuillet sont trois « réservoirs » à micro-organismes présents en amont de l’estomac (caillette), chez les ruminants. Le rumen est le plus important et possède de nombreuses bactéries, archées, champignons et protozoaires impliqués dans la dégradation des fibres alimentaires.

Schéma du système digestif d'un mouton.
Les ruminants possède en amont de l’estomac, des « réservoirs » à micro-organismes permettant la digestion des fibres alimentaires (comme la cellulose). La nourriture passe, dans l’ordre, par le rumen -> le réticulum -> le feuillet -> la caillette. La caillette est le « véritable » estomac.

Une étude précédente avait montré que le microbiome des moutons de North Ronaldsay est spécialisé dans la dégradation des fibres alimentaires provenant d’algues [4]. L’adaptation alimentaire aux algues repose donc sur les micro-organismes du mouton. Les micro-organismes présents dans le rumen de ces moutons ne sont plus capables de digérer la cellulose contenue dans l’herbe.

Production de méthane à partir du microbiote de ces moutons

Des bactéries capables de dégrader les fibres alimentaires des algues et de produire du méthane sont recherchées dans le rumen d’un mouton de North Ronaldsay. Des cultures microbiologiques sont réalisées dans des conditions similaires à celle du rumen. Les scientifiques observent une production de 30 % de méthane (CH4) et 65 % de dioxyde de carbone (CO2), ce qui correspond aux proportions normalement retrouvées dans le rumen. Ces moutons mangeant des algues possèdent donc bien des bactéries intéressantes pour la production de biocarburant à partir d’algues.

Protocole de l'étude
Le contenu gazeux est analysé par une méthode appelée chromatographie en phase gazeuse.

Des résultats similaires ont été obtenus, deux ans après, dans une autre publication scientifique [5]. Cette deuxième étude étant réalisée dans des fermenteurs de volumes plus importants. Ceux-ci sont néanmoins petits comparés à des fermenteurs d’échelles industrielles.

Dispositif expérimental utilisé pour étudier la production de gaz durant la fermentation.
Dispositif expérimental utilisé pour étudier la production de gaz durant la fermentation. Le gaz s’accumule dans le tube à essai en chassant l’eau qu’il contient. Une diminution du volume d’eau dans le tube à essai signifie donc une production de gaz.

Quelles sont les bactéries capables de dégrader les algues ?

Pour mieux comprendre comment se déroule cette production de méthane, les bactéries présentes dans le rumen de ce mouton sont étudiées. Des cultures sont réalisées sur un milieu à base d’algue. Un total de 65 bactéries ont été isolées sur ce milieu de culture mais seulement neuf dégradent plus de 90 % des polysaccharides présents. Ces neuf bactéries sont capables d’utiliser la laminarine qui est un polysaccharide présent spécifiquement chez les algues brunes.

Une analyse génétique utilisant le gène de l’ADNr 16S a permis d’identifier huit de ces bactéries. Celles-ci appartiennent aux genres Clostridium ou Prevotella.

Perspectives de l’étude

Les algues sont une source de matière intéressante pour la production de biocarburant. Cette étude a permis d’isoler des bactéries capables de dégrader les polysaccharides produits par les algues brunes. Ces bactéries s’ajoutent à celles déjà connues comme étant intéressantes pour la production de biocarburant. Elles pourront servir à d’autres études scientifiques et peut-être un jour à la production de biocarburants.

Référence de l’étude

Williams, A. G., Withers, S., & Sutherland, A. D. (2013) The potential of bacteria isolated from ruminal contents of seaweed-eating North Ronaldsay sheep to hydrolyse seaweed components and produce methane by anaerobic digestion in vitro. Microb Biotechnol. 6(1):45-52. (lien)


Pour plus d’informations

[1] Saad, M. G., Dosoky, N. S., Zoromba, M. S., & Shafik, H. M. (2019). Algal biofuels: Current status and key challenges. Energies, 12(10), 1920. doi:10.3390/en12101920 (lien)

[2] Hansen, H. R., Hector, B. L., & Feldmann, J. (2003). A qualitative and quantitative evaluation of the seaweed diet of North Ronaldsay sheep. Animal Feed Science and Technology, 105(1-4), 21–28. doi:10.1016/s0377-8401(03)00053-1 (lien)

[3] Schulting, R. J., Vaiglova, P., Crozier, R., & Reimer, P. J. (2017). Further isotopic evidence for seaweed-eating sheep from Neolithic Orkney. Journal of Archaeological Science: Reports, 11, 463–470. doi:10.1016/j.jasrep.2016.12.017 (lien)

[4] Orpin, C. G., Greenwood, Y., Hall, F. J., & Paterson, I. W. (1985) The rumen microbiology of seaweed digestion in Orkney sheep. J Appl Bacteriol. ;58(6):585-596. doi:10.1111/j.1365-2672.1985.tb01715.x (lien)

[5] Sutherland, A.D., & Varela, J.C. (2014) Comparison of various microbial inocula for the efficient anaerobic digestion of Laminaria hyperborea. BMC Biotechnol. 2014;14:7. Published 2014 Jan 23. doi:10.1186/1472-6750-14-7 (lien)

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