Quel est le lien entre des bactéries, des moutons mangeant des algues et un biocarburant ?

Temps de lec­ture : 5 minutes

Les algues sont une res­source renou­ve­lable inté­res­sante pour la pro­duc­tion de bio­car­bu­rants [1]. À par­tir d’algues, il est en effet pos­sible de pro­duire plu­sieurs com­po­sants de bio­car­bu­rants comme de l’é­tha­nol, des huiles et du méthane. Les algues pré­sentes des avan­tages com­pa­rés à la culture de maïs ou de col­za pour la fabri­ca­tion de bio­car­bu­rants. Par exemple, les algues étant rare­ment man­gées par les humains, il y a donc peu de com­pé­ti­tions entre les res­sources pour l’a­li­men­ta­tion et le bio­car­bu­rant. Des recherches scien­ti­fiques sont en cours pour opti­mi­ser la pro­duc­tion du méthane à par­tir de ces algues. Le bio­car­bu­rant obte­nu est appe­lé bio gaz natu­rel liqué­fié. Pour favo­ri­ser sa pro­duc­tion, il faut notam­ment iso­ler des bac­té­ries capables de trans­for­mer la matière orga­nique des algues en méthane. Des scien­ti­fiques écos­sais ont recher­ché de telles bac­té­ries chez un trou­peau de mou­tons se nour­ris­sant d’algues.

Schéma de la production de biocarburant.
Plusieurs méthodes contri­buent la pro­duc­tion de bio­car­bu­rants. Parmi ces méthodes, la fer­men­ta­tion micro­bienne à par­tir d’algues per­met la pro­duc­tion de bio­gaz. Il s’a­git d’un mélange de plu­sieurs com­po­sés tels que le méthane et le dioxyde de car­bone. Pour pro­duire du bio­car­bu­rant, il faut ensuite puri­fier le méthane des autres gaz puis le faire pas­ser de l’é­tat gazeux à liquide.

Des moutons mangeant des algues

L’île de North Ronaldsay (située dans l’ar­chi­pel des Orcades en Écosse) est répu­tée pour son trou­peau de mou­ton se nour­ris­sant uni­que­ment d’algues. Ce chan­ge­ment de régime ali­men­taire est dû à la construc­tion d’un mur en 1832 pro­vo­quant le confi­ne­ment des mou­tons sur une plage. Cette zone qui s’é­tend sur 2 à 4,6 km² selon la marée, est pauvre en herbe mais dis­pose de nom­breuses algues pous­sant sur les rochers ou appor­tées par les vagues [2].

Photographie des moutons se nourrissant d'algues.
Photographie de Ian Caldwell sous licence Creative Commons (par­tage dans les mêmes Conditions 3.0 non trans­po­sé ; CC BY-SA 3.0) (lien)

Des os de mou­tons, trou­vés dans une tombe du Néolithique sur cette île, ont éga­le­ment été ana­ly­sés et indiquent qu’ils consom­maient déjà des algues à cette époque [3]. Les scien­ti­fiques sup­posent que les algues étaient consom­mées en hiver lorsque l’herbe était rare. Cela pour­rait per­mettre d’ex­pli­quer l’a­dap­ta­tion de ces mou­tons à un chan­ge­ment de régime ali­men­taire lors­qu’ils ont été confinés.

Les mou­tons pré­sents sur cette île consomment prin­ci­pa­le­ment des algues brunes telles que Laminaria digi­ta­ta et Laminaria hyper­bo­rea [2]. Ces algues sont aus­si nutri­tives que l’herbe mais contiennent des fibres ali­men­taires qui ne sont pas digé­rées natu­rel­le­ment par les mou­tons. Ces fibres, éga­le­ment appe­lées poly­sac­cha­rides, servent notam­ment de forme de réserve pour les sucres pro­duits lors de la pho­to­syn­thèse.

Schéma d'une algue avec à côté la structure chimique de la laminarine.
Schéma de l’algue brune Laminaria hyper­bo­rea. Cette algue peut croître jus­qu’à quatre mètres. La lami­na­rine est un exemple de fibre ali­men­taire (poly­sac­cha­ride) trou­vée spé­ci­fi­que­ment chez les algues brunes.

Comment font les moutons pour utiliser ces fibres alimentaires ?

Les fibres ali­men­taires pré­sentes dans les algues ne sont pas les seules à ne pas être digé­rées natu­rel­le­ment par les mou­tons. La cel­lu­lose pré­sente dans les plantes ter­restres, comme l’herbe, n’est pas non plus digé­rée. Les ani­maux her­bi­vores du groupe des rumi­nants, comme le mou­ton ou la vache, hébergent dans leur sys­tème diges­tif des micro-orga­nismes capables de digé­rer ces fibres. Le rumen, le réti­cu­lum et le feuillet sont trois “réser­voirs” à micro-orga­nismes pré­sents en amont de l’es­to­mac (caillette), chez les rumi­nants. Le rumen est le plus impor­tant et pos­sède de nom­breuses bac­té­ries, archées, cham­pi­gnons et pro­to­zoaires impli­qués dans la dégra­da­tion des fibres alimentaires.

Schéma du système digestif d'un mouton.
Les rumi­nants pos­sède en amont de l’es­to­mac, des “réser­voirs” à micro-orga­nismes per­met­tant la diges­tion des fibres ali­men­taires (comme la cel­lu­lose). La nour­ri­ture passe, dans l’ordre, par le rumen -> le réti­cu­lum -> le feuillet -> la caillette. La caillette est le “véri­table” estomac.

Une étude pré­cé­dente avait mon­tré que le micro­biome des mou­tons de North Ronaldsay est spé­cia­li­sé dans la dégra­da­tion des fibres ali­men­taires pro­ve­nant d’algues [4]. L’adaptation ali­men­taire aux algues repose donc sur les micro-orga­nismes du mou­ton. Les micro-orga­nismes pré­sents dans le rumen de ces mou­tons ne sont plus capables de digé­rer la cel­lu­lose conte­nue dans l’herbe. 

Production de méthane à partir du microbiote de ces moutons

Des bac­té­ries capables de dégra­der les fibres ali­men­taires des algues et de pro­duire du méthane sont recher­chées dans le rumen d’un mou­ton de North Ronaldsay. Des cultures micro­bio­lo­giques sont réa­li­sées dans des condi­tions simi­laires à celle du rumen. Les scien­ti­fiques observent une pro­duc­tion de 30 % de méthane (CH4) et 65 % de dioxyde de car­bone (CO2), ce qui cor­res­pond aux pro­por­tions nor­ma­le­ment retrou­vées dans le rumen. Ces mou­tons man­geant des algues pos­sèdent donc bien des bac­té­ries inté­res­santes pour la pro­duc­tion de bio­car­bu­rant à par­tir d’algues.

Protocole de l'étude
Le conte­nu gazeux est ana­ly­sé par une méthode appe­lée chro­ma­to­gra­phie en phase gazeuse.

Des résul­tats simi­laires ont été obte­nus, deux ans après, dans une autre publi­ca­tion scien­ti­fique [5]. Cette deuxième étude étant réa­li­sée dans des fer­men­teurs de volumes plus impor­tants. Ceux-ci sont néan­moins petits com­pa­rés à des fer­men­teurs d’é­chelles industrielles.

Dispositif expérimental utilisé pour étudier la production de gaz durant la fermentation.
Dispositif expé­ri­men­tal uti­li­sé pour étu­dier la pro­duc­tion de gaz durant la fer­men­ta­tion. Le gaz s’ac­cu­mule dans le tube à essai en chas­sant l’eau qu’il contient. Une dimi­nu­tion du volume d’eau dans le tube à essai signi­fie donc une pro­duc­tion de gaz.

Quelles sont les bactéries capables de dégrader les algues ?

Pour mieux com­prendre com­ment se déroule cette pro­duc­tion de méthane, les bac­té­ries pré­sentes dans le rumen de ce mou­ton sont étu­diées. Des cultures sont réa­li­sées sur un milieu à base d’algue. Un total de 65 bac­té­ries ont été iso­lées sur ce milieu de culture mais seule­ment neuf dégradent plus de 90 % des poly­sac­cha­rides pré­sents. Ces neuf bac­té­ries sont capables d’u­ti­li­ser la lami­na­rine qui est un poly­sac­cha­ride pré­sent spé­ci­fi­que­ment chez les algues brunes.

Une ana­lyse géné­tique uti­li­sant le gène de l’ADNr 16S a per­mis d’iden­ti­fier huit de ces bac­té­ries. Celles-ci appar­tiennent aux genres Clostridium ou Prevotella.

Perspectives de l’étude

Les algues sont une source de matière inté­res­sante pour la pro­duc­tion de bio­car­bu­rant. Cette étude a per­mis d’i­so­ler des bac­té­ries capables de dégra­der les poly­sac­cha­rides pro­duits par les algues brunes. Ces bac­té­ries s’a­joutent à celles déjà connues comme étant inté­res­santes pour la pro­duc­tion de bio­car­bu­rant. Elles pour­ront ser­vir à d’autres études scien­ti­fiques et peut-être un jour à la pro­duc­tion de bio­car­bu­rants.

Référence de l’étude

Williams, A. G., Withers, S., & Sutherland, A. D. (2013) The poten­tial of bac­te­ria iso­la­ted from rumi­nal contents of sea­weed-eating North Ronaldsay sheep to hydro­lyse sea­weed com­po­nents and pro­duce methane by anae­ro­bic diges­tion in vitro. Microb Biotechnol. 6(1):4552. (lien)


Bibliographie com­plé­men­taire

[1] Saad, M. G., Dosoky, N. S., Zoromba, M. S., & Shafik, H. M. (2019). Algal bio­fuels : Current sta­tus and key chal­lenges. Energies, 12(10), 1920. doi:10.3390/en12101920 (lien)

[2] Hansen, H. R., Hector, B. L., & Feldmann, J. (2003). A qua­li­ta­tive and quan­ti­ta­tive eva­lua­tion of the sea­weed diet of North Ronaldsay sheep. Animal Feed Science and Technology, 105(14), 2128. doi:10.1016/s0377-8401(03)000531 (lien)

[3] Schulting, R. J., Vaiglova, P., Crozier, R., & Reimer, P. J. (2017). Further iso­to­pic evi­dence for sea­weed-eating sheep from Neolithic Orkney. Journal of Archaeological Science : Reports, 11, 463470. doi:10.1016/j.jasrep.2016.12.017 (lien)

[4] Orpin, C. G., Greenwood, Y., Hall, F. J., & Paterson, I. W. (1985) The rumen micro­bio­lo­gy of sea­weed diges­tion in Orkney sheep. J Appl Bacteriol. ;58(6):585596. doi:10.1111/j.13652672.1985.tb01715.x (lien)

[5] Sutherland, A.D., & Varela, J.C. (2014) Comparison of various micro­bial ino­cu­la for the effi­cient anae­ro­bic diges­tion of Laminaria hyper­bo­rea. BMC Biotechnol. 2014;14:7. Published 2014 Jan 23. doi:10.1186/14726750-147 (lien)

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