Utiliser des abeilles pour transporter des bactéries ?

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Les bac­té­ries dites phy­to­pa­tho­gènes sont capables d’in­fec­ter les plantes et de cau­ser des dom­mages aux cultures. D’autres bac­té­ries au contraire ont un rôle posi­tif pour les plantes et aident à la défense des végé­taux contre des phy­to­pa­tho­gènes. Certaines de ces bac­té­ries béné­fiques sont com­mer­cia­li­sées sous forme de pro­duits phy­to­sa­ni­taires (équi­valent d’un médi­ca­ment pour une plante). Un pro­blème se pose : com­ment appor­ter les bac­té­ries aux plantes ? Les pro­to­coles tra­di­tion­nels uti­lisent des sprays ou des appa­reils agri­coles pour dis­per­ser les bac­té­ries. Cependant une par­tie des bac­té­ries ain­si appor­tées n’ar­rivent pas sur la plante. Pour remé­dier à ce pro­blème, des recherches visent à uti­li­ser des abeilles comme moyen de trans­port pour trans­mettre ces bac­té­ries direc­te­ment au niveau des fleurs.

Dessin d'un tracteur

Abeilles sociales et solitaires

Plus de 17 500 espèces d’a­beilles ont été décrites par des scien­ti­fiques [1]. Parmi celles-ci l’une des plus connues est l’a­beille euro­péenne (Apis mel­li­fe­ra) qui a été domes­ti­quée par les humains et vit de façon sociale dans des ruches. On y retrouve, une reine, des mâles et des ouvrières (par exemples buti­neuses, gar­diennes, nourrices).

Au contraire, d’autres abeilles vivent de façon soli­taire. C’est le cas des osmies telle que Osmia cor­ni­frons qui est une espèce d’a­beille sau­vage et soli­taire. Elle ne vit pas dans des ruches mais dans des nids for­més dans des gale­ries. Chez cette espèce, il n’y a pas d’a­beilles ouvrières mais seule­ment des mâles et des femelles. L’Osmia cor­ni­frons est connue pour être plus effi­cace à la pol­li­ni­sa­tion des pom­miers que l’a­beille domes­tique [2].

Dessin d'une abeille sauvage Osmia cornifrons.

Osmia cor­ni­frons est ori­gi­naire du Japon et a été intro­duite aux États-Unis. Cette abeille mesure 1 cm de long. Dessin ins­pi­ré de la pho­to­gra­phie Osmia cor­ni­frons d’Alex Surcica

Les abeilles, des vecteurs de micro-organismes ?

Des micro-orga­nismes sont natu­rel­le­ment pré­sents chez les abeilles et forment un micro­biote [1]. Celui-ci aide les abeilles à se défendre contre des patho­gènes mais éga­le­ment à mieux digé­rer le pol­len. Dans le cas des abeilles sociales, ce micro­biote est acquis via les acti­vi­tés sociales et les sur­faces de la ruche. Par contre cela n’est pas pos­sible pour les abeilles soli­taires qui doivent acqué­rir leur micro­biote à par­tir des micro-orga­nismes ren­con­trés dans l’environnement.

En plus du pol­len, les fleurs contiennent des micro-orga­nismes pou­vant être phy­to­pa­tho­gènes, neutres ou béné­fiques pour les pantes. Les abeilles peuvent trans­por­ter ces micro-orga­nismes d’une fleur à une autre lors­qu’elles butinent. Le micro­biote des abeilles dépend donc des fleurs buti­nées et des micro-orga­nismes qui s’y trouvent [3 ; 4].

Transmission de micro-organismes par une abeille.
En même temps qu’elle trans­porte le pol­len, l’a­beille porte aus­si des micro-orga­nismes comme des bactéries.

Bactéries bénéfiques pour les plantes

Parmi les micro-orga­nismes appor­tés par les abeilles, cer­taines bac­té­ries ont un rôle posi­tif pour les plantes en empê­chant le déve­lop­pe­ment de phy­to­pa­tho­gènes. L’inhibition du déve­lop­pe­ment des phy­to­pa­tho­gènes est expli­quée par plu­sieurs méca­nismes [5 ; 6]. Par exemple, les bac­té­ries béné­fiques peuvent sti­mu­ler les défenses de la plante pour l’ai­der à mieux se défendre. Autrement, en se nour­ris­sant des nutri­ments pré­sents dans les fleurs, ces bac­té­ries réduisent la quan­ti­té de nour­ri­ture dis­po­nible pour les espèces phy­to­pa­tho­gènes. On parle de com­pé­ti­tion pour la nourriture.

Interaction entre une plante, une bactérie bénéfique et un phytopathogène.

Comment transporter ces bactéries avec des abeilles ?

Une équipe de recherche s’est inté­res­sée à trans­mettre, aux plantes, ces bac­té­ries via des abeilles. Cette méthode avait déjà été étu­diée avec des abeilles sociales [7]. Mais dans cette étude, ce sont des abeilles soli­taires qui sont uti­li­sées. Comme ces abeilles ne vivent pas dans une ruche, les scien­ti­fiques ont créé un nichoir qui attire ces abeilles et où elles peuvent acqué­rir les micro-orga­nismes béné­fiques pour la plante. Une par­tie du nid est recou­verte avec la bac­té­rie à trans­fé­rer. Lorsque l’a­beille sort du nichoir, elle entre en contact avec les bac­té­ries et peut ensuite les transmettre.

Schéma du nichoir utilisé dans l'étude.
Le nichoir est construit de façon à ce que les abeilles qui l’u­ti­lisent se déplacent dans un sens pré­cis. Les tun­nels d’en­trée pos­sèdent un gou­lot pour évi­ter que les abeilles ne les uti­lisent pour sor­tir. La sor­tie est pro­té­gée par un pla­fond trans­pa­rent pour évi­ter que les abeilles rentrent par cet endroit.

La bac­té­rie uti­li­sée dans cette étude est Bacillus sub­ti­lis QST 713. Cette bac­té­rie est com­mer­cia­li­sée depuis l’an­née 2000 en tant que pro­duit phy­to­sa­ni­taire [8]. Elle est inof­fen­sive pour les humains mais empêche la crois­sance de mycètes phy­to­pa­tho­gènes comme celui res­pon­sable du mil­diou [6].

Description de la bactérie Bacillus subtilis
Bacillus sub­ti­lis est une bac­té­rie trou­vée de façon répan­due dans l’en­vi­ron­ne­ment. Elle peut pro­duire des spores ce qui explique sa résis­tance dans l’en­vi­ron­ne­ment. La souche Bacillus sub­ti­lis QST713 est com­mer­cia­li­sée en tant que pro­duit phytosanitaire.

Transmission primaire : de l’abeille à la fleur

Dans un pre­mier temps, la trans­mis­sion des bac­té­ries est tes­tée du nichoir vers les fleurs. Deux nichoirs sont pla­cés dans une serre conte­nant 14 pom­miers sau­vages (Malus syl­ves­tris). Puis des abeilles sont lais­sées buti­ner pen­dant 24 heures dans la serre.

Schéma de l'expérience dans une serre
Les 14 pom­miers uti­li­sés dans cette étude sont plan­tés dans des pots. Ils sont com­pa­rés à des pom­miers pré­sents dans une autre par­tie de la serre en absence d’abeilles.

Après 24 heures, 120 fleurs sont pré­le­vées sur ces arbres pour déter­mi­ner l’ef­fi­ca­ci­té du trai­te­ment. La bac­té­rie Bacillus sub­ti­lis QST 713 est détec­tée dans ces fleurs ce qui indique qu’elle a bien été trans­mise par les abeilles solitaires.

Transmission secondaire de la fleur à la fleur

Dans un second temps, la trans­mis­sion de la bac­té­rie d’une fleur à une autre est tes­tée dans la nature. Les plantes uti­li­sées dans la pre­mière expé­rience sont dépla­cées dans une zone fores­tière à 8 km de la serre. À côté des pom­miers ayant reçu la bac­té­rie lors de la pre­mière expé­rience, de nou­veaux pom­miers, n’ayant pas subis de trai­te­ments, sont dépo­sés. Ces nou­veaux pom­miers per­met­tront de voir si la bac­té­rie peut être trans­mise depuis un arbre déjà trai­té. Dans cette expé­rience, le nichoir à abeilles n’est pas présent. 

Schéma de l'expérience dans la nature.

Après 24 heures, 120 fleurs sont de nou­veau pré­le­vées. Les scien­ti­fiques observent alors une aug­men­ta­tion du nombre de bac­té­ries ain­si qu’une trans­mis­sion aux arbres n’ayant pas été trai­tés dans la serre. Cette aug­men­ta­tion indique que cette espèce de bac­té­rie est capable de sur­vivre dans les fleurs et de se mul­ti­plier. Le trai­te­ment serait donc capable de s’au­to­ré­pli­quer dans l’en­vi­ron­ne­ment ce qui réduit la fré­quence de l’opération.

Perspectives de l’étude

Les résul­tats de cette étude indiquent que les abeilles peuvent être uti­li­sées pour trans­mettre des bac­té­ries béné­fiques pour les plantes. Ce trai­te­ment, en plus de pré­ve­nir les mala­dies, favo­rise la pol­li­ni­sa­tion via la pré­sence des abeilles (et des nichoirs). Cependant, cette méthode repose sur de nom­breuses variables comme l’es­pèce d’a­beille, les plantes, le nid, les bac­té­ries, … D’autres études seront néces­saires pour mieux com­prendre et opti­mi­ser ce procédé.

Référence de l’étude 

Joshi, N. K., Ngugi, H. K., & Biddinger, D. J. (2020). Bee vec­to­ring : Development of the japa­nese orchard bee as a tar­ge­ted deli­ve­ry sys­tem of bio­lo­gi­cal control agents for fire blight mana­ge­ment. Pathogens, 9(1), 41. doi:10.3390/pathogens9010041 (lien)


Bibliographie com­plé­men­taire

[1] Voulgari-Kokota, A., McFrederick, Q. S., Steffan-Dewenter, I., & Keller, A. (2019) Drivers, diver­si­ty, and func­tions of the soli­ta­ry-bee micro­bio­ta. Trends in Microbiology, 27(12), 10341044 (lien)

[2] McKinney, M. I., & Yong-Lak Park, Y.L. (2012). Nesting acti­vi­ty and beha­vior of Osmia cor­ni­frons (Hymenoptera : Megachilidae) elu­ci­da­ted using video­gra­phy. Volume 2012 |Article ID 814097 | 7 pages | https://​doi​.org/​10​.​1155​/​2012​/​814097 (lien)

[3] Alger, S. A., Burnham, P. A., & Brody, A. K. (2019) Flowers as viral hot spots : Honey bees (Apis mel­li­fe­ra) une­ven­ly depo­sit viruses across plant spe­cies.PLoS ONE 14(9):e0221800.https://doi.org/10.1371/journal.pone.0221800 (lien)

[4] McFrederick, Q. S., Thomas, J. M., Neff, J. L., Vuona, H. Q., Russel, K. A., Hale, A. R., & Mueller, U. G. (2017). Flowers and wild mega­chi­lid bees share microbes. Microb Ecol 73, 188200 https://doi.org/10.1007/s00248-01608381 (lien)

[5] Fira, D., Dimkić, I., Berić, T., Lozo, J., & Stanković, S. (2018) Biological control of plant patho­gens by Bacillus spe­cies. J. Biotechnol. 285:44-​55. doi:10.1016/j.jbiotec.2018.07.044 (lien)

[6] Panstruga, R., & Kuhn, H. (2019). Mutual inter­play bet­ween phy­to­pa­tho­ge­nic pow­de­ry mil­dew fun­gi and other microor­ga­nisms. Mol. Plant. Pathol. 20(4):463-​470. doi:10.1111/mpp.12771 (lien)

[7] Vanneste, J. L. (1996). Honey bees and epi­phy­tic bac­te­ria to control fire blight, a bac­te­rial disease of apple and pear. Biocontrol News and Information, 17, 67N-78N. (lien)

[8] Ngugi, H. K., Dedej, S., Delaplane, K. S., Savelle, A. T., & Scherm, H. (2005). Effect of flo­wer-applied Serenade bio­fun­gi­cide (Bacillus sub­ti­lis) on pol­li­na­tion-rela­ted variables in rab­bi­teye blue­ber­ry. Biological Control, 33(1), 3238. doi:10.1016/j.biocontrol.2005.01.002 (lien)

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