Pourquoi utiliser des virus pour soigner des plantes malades ?

Temps de lec­ture : 8 minutes

Tout comme les humains et les autres ani­maux, les plantes sont aus­si sus­cep­tibles de tom­ber malades [1]. Loin d’être anec­do­tiques, ces mala­dies peuvent être un fléau pour l’a­gri­cul­ture et conduire à des famines lors­qu’elles frappent à grande échelle. Les dégâts cau­sés par ces mala­dies peuvent se chif­frer en plu­sieurs dizaines de mil­liers d’eu­ros par hec­tare touché.

Micro-organismes phytopathogènes

Les micro-orga­nismes res­pon­sables de ces mala­dies sont appe­lés phy­to­pa­tho­gènes. Ceux-ci sont prin­ci­pa­le­ment des mycètes mais aus­si des bac­té­ries et des virus. Les mala­dies et symp­tômes sont aus­si divers que les orga­nismes res­pon­sables de leur appa­ri­tion. Les symp­tômes sont sou­vent visibles sur les feuilles et cor­res­pondent géné­ra­le­ment à une modi­fi­ca­tion de sa cou­leur ou de sa forme. Cela peut conduire à une dimi­nu­tion de la pho­to­syn­thèse au niveau des feuilles.

Schéma de feuilles avec des symptômes d'infection microbienne.
Exemples de symp­tômes visibles sur les feuilles lors d’une infec­tion par un phytopathogène.

Les dégâts infli­gés ne se limitent pas aux feuilles et peuvent s’é­tendre au reste de la plante. Là aus­si ils sont assez divers et peuvent prendre la forme de la mort des cel­lules végé­tales (par des toxines), une perte de rigi­di­té (flé­tris­se­ment), une crois­sance cel­lu­laire incon­trô­lée (tumeur) ou conduire à un blo­cage des vais­seaux trans­por­tant la sève. De façon géné­rale, cela se tra­duit par des plantes plus petites (nanisme) et une perte de récolte.

Schéma de symptômes d'infection microbienne chez des plantes.
Les symp­tômes de l’in­fec­tion peuvent tou­cher toute la plante. La crois­sance d’une galle (tumeur) affai­blit la plante. La bac­té­rie Agrobacterium tume­fa­ciens est res­pon­sable de tels symp­tômes aus­si appe­lés galle du col­let. Les phy­to­pa­tho­gènes peuvent aus­si se déve­lop­per dans les vais­seaux de la plante (xylème et phloème) qui trans­portent la sève (brute en pro­ve­nance des racines ou éla­bo­rée en pro­ve­nance des feuilles).

Transmission des phytopathogènes

Les plantes ne peuvent pas se dépla­cer pour pro­pa­ger les phy­to­pa­tho­gènes. Leur trans­mis­sion d’une plante à une autre est donc sou­vent réa­li­sée par un orga­nisme vec­teur tel qu’un insecte ou un néma­tode. Les acti­vi­tés humaines comme que l’a­gri­cul­ture ou l’u­ti­li­sa­tion d’ou­tils ayant été conta­mi­nés sont d’autres sources de trans­mis­sion. Les condi­tions météo­ro­lo­giques comme le vent ou la pluie inter­viennent aus­si dans la transmission. 

Schéma de la transmission d'organismes phytopathogènes.
Plusieurs méca­nismes expliquent la trans­mis­sion des micro-orga­nismes phy­to­pa­tho­gènes d’une plante à une autre.

Pseudomonas syringae une bactérie qui s’attaque aux plantes

Pseudomonas syrin­gae (P. syrin­gae) est l’une des prin­ci­pales espèces de bac­té­ries infec­tant les plantes [2 ; 3 ; 4]. Derrière le nom de cette bac­té­rie, se regroupent plu­sieurs souches très proches mais infec­tant des plantes dif­fé­rentes. On parle de patho­vars (pv.) pour dési­gner ces bac­té­ries phy­to­pa­tho­gènes proches. Plus de 60 patho­vars ont été décrits pour P. syrin­gae et peuvent infec­ter des plantes d’in­té­rêts agri­coles et ali­men­taires [5].

- Pseudomonas syrin­gae pv. macu­li­co­la -> infecte le chou-fleur

- Pseudomonas syrin­gae pv. avi -> infecte le cerisier

- Pseudomonas syrin­gae pv. toma­to DC3000 -> infecte la tomate

- Pseudomonas syrin­gae pv. acti­ni­diae -> infecte le kiwi

- Pseudomonas syrin­gae pv. lap­sa ATCC 10859 -> infecte le blé

Cette bac­té­rie est trans­por­tée par le vent, la pluie ou des insectes. Elle pro­fite des branches et des fruits endom­ma­gés par la pluie ou la grêle pour infec­ter la plante. Une fois à l’in­té­rieur de la plante, P. syrin­gae se déve­loppe et conduit à l’ap­pa­ri­tion de lésions pou­vant être fatales pour la plante.

Comment soigner des plantes ?

Les moyens de lut­ter contre P. syrin­gae et les autres bac­té­ries phy­to­pa­tho­gènes sont rares. De façon pré­ven­tive, ils consistent en des épan­dages de bouillie bor­de­laise (oxyde de cuivre ; Cu2O) ou d’anti­bio­tiques. Ces méthodes ne sont pas spé­ci­fiques d’un patho­gène et ont un effet sur de nom­breuses bac­té­ries qu’elles soient néfastes ou béné­fiques pour la plante. De plus elles posent des pro­blèmes de résis­tance chez les bac­té­ries ain­si que la pré­sence de rési­dus (d’oxyde de cuivre ou d’anti­bio­tiques) sur les fruits et légumes des­ti­nés à la consom­ma­tion humaine.

Une autre approche, en cours de déve­lop­pe­ment, consiste à uti­li­ser des virus infec­tant uni­que­ment les bac­té­ries selon l’a­dage “Les enne­mis de mes enne­mis sont mes amis”. Ces virus sont appe­lés bac­té­rio­phages ou bac­té­rio­vi­rus. Les trai­te­ments avec les bac­té­rio­phages per­mettent de cibler spé­ci­fi­que­ment une espèce de bac­té­rie à éli­mi­ner. Cette spé­ci­fi­ci­té pré­sente l’a­van­tage de ne pas affec­ter les autres bac­té­ries pré­sentes et notam­ment celles qui peuvent avoir un rôle posi­tif pour les plantes.

Schéma de l'utilisation de bactériophages.

Bactériophages, des tueurs de bactéries

Les bac­té­rio­phages sont des micro-orga­nismes retrou­vés abon­dam­ment dans la nature [7]. Des esti­ma­tions indiquent qu’ils seraient même 10 fois plus nom­breux que les bac­té­ries dans l’en­vi­ron­ne­ment. Ces orga­nismes pos­sèdent un maté­riel géné­tique (ADN ou ARN) pro­té­gé par des pro­téines qui forment une “coque pro­tec­trice” appe­lée cap­side.

Morphologie de plusieurs bactériophages
Morphologie de plu­sieurs espèces de bac­té­rio­phages. En plus de son rôle de pro­tec­tion, la cap­side per­met éga­le­ment de recon­naitre les bac­té­ries et de se fixer des­sus. Elle pro­tège aus­si le maté­riel géné­tique du virus. La forme de la cap­side peut être sphé­rique (ico­sa­h­édrique) ou for­mer un fila­ment (héli­coï­dale). Des struc­tures plus com­plexes sont trou­vées chez les bac­té­rio­phages à queue.

Ces virus ne pos­sèdent pas la machi­ne­rie cel­lu­laire néces­saire à leur répli­ca­tion et ne peuvent donc pas se mul­ti­plier tout seuls. Ils ont besoin de détour­ner la machi­ne­rie cel­lu­laire des bac­té­ries pour se mul­ti­plier. Les virus sont donc des para­sites dépen­dant d’une cel­lule à infec­ter pour se répli­quer. Les bac­té­rio­phages sont des virus inof­fen­sifs pour les humains car la machi­ne­rie cel­lu­laire des cel­lules humaines est très dif­fé­rente de celle des bac­té­ries et qu’ils ne peuvent pas la détourner.

Comparaison de la taille d'une bactérie et de plusieurs bactériophages.
Comparaison de la taille d’une bac­té­rie et de plu­sieurs bactériophages.

Bactériophage phi66)

Le virus uti­li­sé dans cette étude est le bac­té­rio­phage φ6 qui a été iso­lé en 1973 chez une souche de Pseudomonas phy­to­pa­tho­gène [8 ; 9]. Le bac­té­rio­phage phi6 est dit “lytique” car il conduit à la lyse de la mem­brane bac­té­rienne ce qui tue la bactérie. 

Schéma de la capside du bactériophage phi6.
Schéma de la cap­side du bac­té­rio­phage phi6. La cap­side est entou­rée par une mem­brane lipi­dique (virus enve­lop­pé) pro­ve­nant de la pré­cé­dente bac­té­rie infec­tée. Les spi­cules pré­sents à la sur­face de cette mem­brane per­mettent de se fixer aux bac­té­ries hôtes. Le génome de ce virus est com­po­sé de trois ARN pro­té­gés dans la cap­side.

Ce virus se fixe à la sur­face des bac­té­ries puis sa mem­brane lipi­dique fusionne avec celle de la bac­té­rie pour faire ren­trer la cap­side. La machi­ne­rie cel­lu­laire de la bac­té­rie est ensuite détour­née pour pro­duire de nou­veaux virus (appe­lés virions). Une fois que les virions ont été pro­duits, la mem­brane de la bac­té­rie est détruite (lysée) ce qui per­met aux virions d’être libé­rés. Ils pour­ront ensuite infec­ter d’autres bac­té­ries à leur tour.

Schéma simplifié du cycle cellulaire du bactériophage phi6.
Schéma sim­pli­fié du cycle cel­lu­laire du bac­té­rio­phage phi6. Le virus se fixe aux pili (fim­briae) pré­sents à la sur­face de la bac­té­rie. Lorsque la cap­side virale entre dans le cyto­plasme bac­té­rien, elle réplique son maté­riel géné­tique (trois ARN double brins). Ces ARN per­mettent la syn­thèse des pro­téines néces­saires au cycle viral et à la pro­duc­tion de virions. L’enveloppe se forme autour du virus alors qu’il est encore dans le cyto­plasme. Lorsque le cycle viral est ter­mi­né, la mem­brane bac­té­rienne est lysée ce qui per­met la libé­ra­tion des virions. 

Méthode pour tester l’efficacité de ce bactériophage

Avant de tes­ter l’ef­fi­ca­ci­té de ce bac­té­rio­phage dans des champs agri­coles, il est tes­té in vitro en labo­ra­toire. Cela per­met de réa­li­ser l’ex­pé­rience dans un envi­ron­ne­ment contrô­lé et ain­si d’ob­te­nir des résul­tats plus faciles à inter­pré­ter. L’efficacité de ce virus est tes­tée en réa­li­sant l’in­fec­tion de bac­té­ries dans plu­sieurs condi­tions de cultures.

Pour déter­mi­ner l’ef­fi­ca­ci­té du virus, il est quan­ti­fié après avoir été culti­vé avec des bac­té­ries dans plu­sieurs condi­tions de culture. La méthode uti­li­sée pour quan­ti­fier le virus est appe­lée plaque de lyse. Pour cela, on uti­lise une gélose sur laquelle des bac­té­ries se sont déve­lop­pées sur toute la sur­face. On parle de tapis bac­té­rien pour indi­quer que toute la gélose est recou­verte de bac­té­ries. On ajoute ensuite le bac­té­rio­phage sur le tapis bac­té­rien. La lyse des bac­té­ries par le bac­té­rio­phage va conduire à l’ap­pa­ri­tion de “trous” dans le tapis bac­té­rien. Ces zones où les bac­té­ries ont été lysées sont appe­lés plaque de lyse. En comp­tant les plaques de lyses obte­nus, il est pos­sible de cal­cu­ler com­bien de virus sont pré­sents dans l’échantillon. 

Schéma de la formation de plaques de lyse.
Les plaques de lyse se forment sur le tapis bac­té­rien et cor­res­pondent à des zones où les bac­té­ries ont été lysées par les virus. Chaque plaque de lyse cor­res­pond en prin­cipe à un bac­té­rio­phage pré­sent ini­tia­le­ment. Le prin­cipe est simi­laire à celui des uni­tés for­mant colo­nies.

Résultats de l’étude

Le bac­té­rio­phage phi6 est capable d’in­fec­ter deux patho­vars de P. syrin­gae : Pseudomonas syrin­gae pv. syrin­gae et Pseudomonas syrin­gae pv. acti­ni­diae mais n’af­fecte pas d’autres bac­té­ries comme Pseudomonas puti­da ou Escherichia coli. Cela prouve la spé­ci­fi­ci­té de ce traitement.

Plusieurs condi­tions d’infections sont tes­tées pour déter­mi­ner celles opti­males dans l’en­vi­ron­ne­ment. Des modi­fi­ca­tions légères de l’a­ci­di­té (pH de 6,5 à 7,5) ne conduisent pas à des dif­fé­rences d’ef­fi­ca­ci­té. Par contre, une tem­pé­ra­ture trop éle­vée (37 °C) ou des rayons ultra­vio­lets (UV‑B et C ; lon­gueur d’onde de 90 à 320 nm) réduisent la via­bi­li­té du virus et donc son effi­ca­ci­té. Les infec­tions des plantes par P. syrin­gae ont lieu sur­tout l’au­tomne et l’hi­ver, les tem­pé­ra­tures éle­vées ne devraient donc pas limi­ter cette approche. Pour évi­ter une perte d’ef­fi­ca­ci­té à cause des rayons UV, le trai­te­ment pour­rait donc avoir lieu en soi­rée ou de nuit. 

Conditions optimales in vitro pour l'utilisation du bactériophage φ6.
Conditions opti­males in vitro pour l’u­ti­li­sa­tion du bac­té­rio­phage φ6.

Perspectives de l’étude

Cette étude ouvre de nou­velles pistes pour lut­ter contre des bac­té­ries nui­sibles à l’a­gri­cul­ture. Des études sur le ter­rain devront suivre pour confir­mer l’ef­fi­ca­ci­té de ce type de traitement.

Les bac­té­rio­phages sont de plus en plus étu­diés, notam­ment en san­té humaine pour lut­ter contre les bac­té­ries deve­nues mul­ti-résis­tantes aux anti­bio­tiques. L’agriculture s’a­joute à la liste des domaines où ils pour­raient être utilisés.

Référence de l’étude

Pinheiro, L. A. M., Pereira, C., Frazão, C., Balcão, V. M., & Almeida, A. (2019). Efficiency of phage φ6 for bio­con­trol of Pseudomonas syrin­gae pv. syrin­gae : An in vitro pre­li­mi­na­ry stu­dy. Microorganisms, 7(9), 286. doi:10.3390/microorganisms7090286 (lien)


Bibliographie com­plé­men­taire

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