Comment produire de la vitamine B12 avec des bactéries ?

Posté : 19 mai 2020 / Mis-à-jour : 7 avril 2024


Temps de lecture : 9 minutes

Les vitamines sont des molécules n’étant pas synthétisées par un organisme et qui doivent être trouvées dans sa nourriture. Chez les humains, une carence en vitamines peut conduire à l’apparition de maladies. Un régime végétarien ou végétalien procure de nombreux avantages pour la santé humaine et pour l’environnement mais peut conduire à une carence en vitamine B12 [1,2]. Celle-ci est absente des végétaux et provient principalement de la consommation de viande.

Structure chimique de la vitamine B12. Cette vitamine est la plus complexe présente dans l’alimentation humaine.

La vitamine B12, à quoi ça sert ?

Cette vitamine, aussi appelée cobalamine, sert de co-facteur pour des enzymes. C’est-à-dire qu’elle aide une enzyme à accélérer une réaction chimique. Chez l’humain, parmi les dizaines de milliers présentes, seules deux enzymes, ont besoin de cobalamine pour fonctionner. Ces deux enzymes interviennent dans le métabolisme d’acides gras ou d’acides aminés (et indirectement de l’ADN).

Une co-enzyme est une molécule indispensable au fonctionnement de certaines enzymes. Elle est de petite taille comparée à celle de l’enzyme. Une co-enzyme est une molécule organique (non protéique). Elle peut rester liée à l’enzyme de façon indissociable (groupement prosthétique) ou être dissociée après la réaction (cosubstrat). Une co-enzyme n’a pas d’effet en absence d’une enzyme.

Comment obtenir de la vitamine B12 ?

La vitamine B12 est produite uniquement par des micro-organismes (bactéries et archées) [3]. De faibles concentrations de vitamine B12 sont trouvées dans des champignons ou des algues ce qui peut s’expliquer par la croissance de bactéries à leur surface. Des micro-organismes produisant la vitamine B12 se trouvent aussi dans le système digestif d’animaux. Cela permet à ces animaux d’acquérir la vitamine B12 nécessaire à leur croissance.

Seuls les bactéries et archées produisent de la vitamine B12

Chez l’humain, la production de vitamine B12 par les bactéries de l’intestin (microbiome intestinal) n’est pas suffisante pour subvenir aux besoins journaliers [4]. L’absorption de cette vitamine a lieu au niveau de l’intestin grêle (iléon) tandis que la production bactérienne est réalisée plus loin au niveau du gros intestin (colon). La production ayant lieu en aval de la zone d’absorption, elle est inutilisable.

Schéma du système digestif avec les lieu de production et d'absorption de la vitamine B12
L’absorption de la vitamine B12 a lieu dans l’iléon tandis que sa production a lieu dans le colon. Cette différence de localisation n’est pas spécifique aux humains. Chez certains animaux herbivores, la coprophagie (ingestion de matière fécale) permet de récupérer la vitamine B12 qui n’a pas pu être absorbée.

De plus, les bactéries présentes dans l’intestin utilisent aussi cette molécule pour leur croissance. En procédant ainsi, elles modifient la vitamine B12 pour former des analogues qui sont adaptés à leurs besoins. Les analogues de la vitamine B12 ainsi produits ne sont pas assimilables par les humains.

La principale source de vitamine B12 chez les humains vient donc de l’alimentation que ce soit par de la viande ou des plats fermentés (par exemple du kombucha) [5].

Vitamine B12 la santé humaine

L’organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture recommande une consommation journalière de 0,000 002 4 g (soit 2,4 µg) chez les adultes [6]. En dessous de cette dose, des carences sont possibles et peuvent conduire à des troubles neurologiques et des anémies. Cette carence peut avoir des effets sur le corps humain même si les symptômes ne sont pas visibles.

Les personnes ayant un régime végétarien / végétalien ne sont pas les seules à risquer une carence en vitamine B12 [2]. En plus d’un déficit alimentaire, la carence peut être due à une mauvaise absorption, une infection bactérienne par Helicobacter pylori, l’utilisation de médicaments anti-acides pour l’estomac ou des facteurs génétiques. Les femmes enceintes et les personnes âgées [5] sont aussi plus susceptibles d’avoir une carence en vitamine B12.

Pour lutter contre cette carence, de la vitamine B12 est ajoutée dans certains produits alimentaires ou d’hygiène (dentifrice). Des compléments alimentaires avec de la vitamine B12 existent aussi. Mais pour obtenir ces produits, il faut tout d’abord produire la vitamine. Pour cela, la vitamine B12 peut être synthétisée en laboratoire de façon chimique mais cette méthode est longue et coûteuse [3].

La production de vitamine B12 par des bactéries, en fermenteur, est plus rentable. Une équipe de recherche brésilienne a testé une nouvelle méthode de culture pour produire de la vitamine B12 via des bactéries. Pour cela, ils utilisent un déchet industriel pour assurer la croissance des bactéries.

Production bactérienne de la vitamine B12

Les bactéries sont capables de produire la vitamine B12 via deux méthodes différentes. En présence de dioxygène (aérobie), les gènes cob sont utilisés pour la production de cette vitamine tandis qu’en absence de dioxygène (anaérobie) ce sont les gènes cib qui interviennent [7]. Dans les deux cas, les bactéries utilisent les nutriments présents dans leur environnement pour produire la vitamine B12. Ce procédé peut être appliqué à l’échelle industrielle, en cultivant ces bactéries dans des fermenteurs pouvant aller de quelques litres à plusieurs dizaines de milliers.

Schéma d'un fermenteur
Les micro-organismes sont cultivés dans des fermenteurs (grandes cuves) pour produire la vitamine B12. Durant le procédé, il y a une croissance bactérienne et la production de molécules d’intérêts. Une fois la culture terminée, la vitamine B12 doit être purifiée des autres composants puis concentrée. Elle peut ensuite être utilisée par les industriels pour l’ajouter à des aliments ou à des compléments alimentaires.

La sélection des micro-organismes est une étape importante pour la production industrielle. Il faut que le micro-organisme produise la vitamine B12 de façon importante et qu’il soit non pathogène pour l’humain. Plusieurs bactéries sont couramment utilisées pour la production de vitamine B12, on retrouve par exemple Bacillus megaterium, Pseudomonas denitrificans ou Propionibacterium freudenreichii.

La bactérie Propionibacterium freudenreichii est celle utilisée dans cette étude. Comme les autres bactéries utilisées pour la production de vitamine B12, elle est non pathogène pour l’humain. Elle est connue pour son rôle dans la formation des trous de l’emmental [8]. Elle est également utilisée pour la préparation de plats fermentés, comme le kimchi (plat coréen à base de légumes fermentés), qui sont riches en vitamine B12 [9]. Propionibacterium freudenreichii est capable de se développer dans l’intestin humain et d’y avoir un impact positif pour la santé : bactérie probiotique.

Carte d'identité de Propionibacterium freudenreichii
Propionibacterium freudenreichii a été isolée en 1906 dans un fromage (emmental). En formant du CO2 dans la pâte pressée du fromage, elle conduit à l’apparition des trous de l’emmental.

Un milieu de culture issu d’un déchet industriel

En plus de choisir la bactérie à utiliser pour la production de vitamine B12, il faut également définir un milieu de culture. Celui-ci apporte les nutriments nécessaires à la croissance bactérienne. Dans cette étude, les scientifiques se sont intéressés à rentabiliser un sous-produit industriel en l’utilisant pour la préparation d’un milieu de culture permettant la croissance bactérienne.

La production de concentré protéique de soja conduit à la formation d’un effluent acide, riche en matière organique, qui doit être traité avant d’être rejeté dans l’environnement [10]. Cet effluent a peu de valeurs pour les industriels qui produisent du concentré protéique de soja mais il peut s’avérer intéressant dans d’autres domaines. En effet, il possède des nutriments nécessaires à la croissance bactérienne. Des scientifiques s’étaient déjà intéressés à ces effluents pour la production de milieux de cultures mais ils n’avaient jamais été utilisés pour la production de vitamine B12.

Obtention d'effluent acide lors de la production de concentré de protéines à partir de grains de soja.
Lors de la production de concentré protéique de soja, un effluent acide est obtenu lors de la précipitation des protéines. Cet effluent est un sous-produit qui a peu de valeur comparé au concentré protéique de soja (le produit principal).

Dans le cadre de cette étude, l’effluent a été donné par une usine. Une analyse chimique de cet effluent indique qu’il est riche en sucres, en protéines ainsi qu’en minéraux. Par contre celui-ci ne contient pas de cobalt qui intervient dans la synthèse de la vitamine B12. En absence de cobalt, aucune production de vitamine B12 n’est observée. Du cobalt est donc ajouté dans le milieu de culture pour permettre la production de cette vitamine.

Schéma de la molécule de vitamine B12 avec l'atome de cobalt
L’atome de cobalt, présent dans la vitamine B12, peut accepter différents ligands ce qui conduit à la formation d’analogues.

Résultats de l’étude

La composition du milieu de culture est optimisée en testant l’ajout de plusieurs substances : extraits de levure, protéines de caséines, intermédiaire métabolique nécessaire à la synthèse de la vitamine B12, … Une autre modification consiste à remonter le pH acide pour qu’il soit neutre. Cette étape d’optimisation permet d’augmenter la production de vitamine B12.

Durant la croissance bactérienne, il y a production de la vitamine B12 à l’intérieur des bactéries. Lorsque la croissance est achevée, les bactéries sont récupérées puis lysées pour récupérer la vitamine B12. Les résultats de cette étude indiquent la quantité de vitamine B12 comparée à celle de bactérie. Après optimisation du traitement, il y a production de 0,6 mg de vitamine B12 par gramme de cellules.

Production de vitamine B12 durant la culture
Profil de croissance bactérienne et production de vitamine B12. Ici la biomasse correspond à la quantité de bactéries présentes dans le fermenteur. La culture est divisée en deux étapes : 72 h en anaérobiose (absence de dioxygène) puis 96 h en micro-aérophilie (faible concentration de dioxygène). La production de vitamine B12 est détectable à partir de 72 h de culture puis maximale à 144 h. Inspiré de la figure 4 de Assis et al., 2020.

Perspectives de l’étude

Cette étude décrit un nouveau protocole pour produire de la vitamine B12. Elle permet également de mettre en valeur un sous-produit de la production de concentré protéique de soja. L’avantage est que ce substrat est disponible en grande quantité et à faible coût puisqu’il est considéré comme un déchet par les industriels.

Référence de l’étude

Assis, D. A., Matte, C., Aschidamini, B., Rodrigues, E., & Záchia Ayub, M. A. (2020). Biosynthesis of vitamin B12 by Propionibacterium freudenreichii subsp. shermanii ATCC 13673 using liquid acid protein residue of soybean as culture medium. Biotechnology Progress. doi:10.1002/btpr.3011 (lien)

Pour plus d’informations

[1] Dinu, M., Abbate, R., Gensini, G. F., Casini, A., & Sofi, F. (2016). Vegetarian, vegan diets and multiple health outcomes: A systematic review with meta-analysis of observational studies. Critical Reviews in Food Science and Nutrition, 57(17), 3640–3649. doi:10.1080/10408398.2016.1138447 (lien)

[2] Rizzo, G., Laganà, A., Rapisarda, A., La Ferrera, G., Buscema, M., Rossetti, P., Nigro, A., Muscia, V., Valenti, G., Sapia, F., Sarpietro, G., Zigarelli, M., Vitale, S.G. (2016). Vitamin B12 among vegetarians: Status, assessment and supplementation. Nutrients, 8(12), 767. doi:10.3390/nu8120767 (lien)

[3] Pereira, J., Simões, M., & Silva, J. L. (2019). Microalgal assimilation of vitamin B12 toward the production of a superfood. Journal of Food Biochemistry, e12911. doi:10.1111/jfbc.12911 (lien)

[4] Degnan, P. H., Taga, M. E., & Goodman, A. L. (2014). Vitamin B12 as a modulator of gut microbial ecology. Cell Metabolism, 20(5), 769–778. doi:10.1016/j.cmet.2014.10.002 (lien)

[5] Kwak, C. S., Lee, M. S., Oh, S. I., & Park, S. C. (2010). Discovery of novel sources of vitamin B12 in traditional Korean foods from nutritional surveys of centenarians. Current Gerontology and Geriatrics Research, 2010, 1–11. doi:10.1155/2010/374897 (lien)

[6] World Health Organization, Food and Agricultural Organization of the United Nations (2004), Vitamin and mineral requirements in human nutrition, Second edition, 341 pages, ISBN: 92 4 154612 3 (lien)

[7] Fang, H., Kang, J., & Zhang, D. (2017). Microbial production of vitamin B12: A review and future perspectives. Microbial Cell Factories, 16(1). doi:10.1186/s12934-017-0631-y (lien)

[8] Thierry, A., Deutsch, S.-M., Falentin, H., Dalmasso, M., Cousin, F. J., & Jan, G. (2011). New insights into physiology and metabolism of Propionibacterium freudenreichii. International Journal of Food Microbiology, 149(1), 19–27. doi:10.1016/j.ijfoodmicro.2011.04.026 (lien)

[9] Ro, S. L., Burn, M. W., & Sandine, W. E. (1979). Vitamin B12 and ascorbic acid in kimchi inoculated with Propionibacterium freudenreichji ss. shermanii. Journal of Food Science, 44(3), 873–877. doi:10.1111/j.1365-2621.1979.tb08525.x (lien)

[10] Ohren, J. A. (1981). Process and product characteristics for soya concentrates and isolates. Journal of the American Oil Chemists’ Society, 58(3Part2), 333–335. doi:10.1007/bf02582371 (lien)

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