Comment le chocolat modifie notre humeur et les bactéries de notre microbiome ?
Posté : 6 septembre 2022 / Mis-à-jour : 7 avril 2024
Temps de lecture : 7 minutes
De nombreux bienfaits sont accordés au chocolat : lutte contre le stress, effet aphrodisiaque, réduction de la tension artérielle, … Parmi ces bienfaits, le chocolat est aussi souvent considéré comme un aliment réconfort capable de diminuer l’anxiété. Cet effet est-il vraiment observable et si oui comment cela fonctionne-t-il ?
Le chocolat : un aliment anti-anxiété ?
Plusieurs études scientifiques ont montré que le chocolat noir réduisait l’anxiété chez les personnes qui en consomment [1]. Cela pourrait être dû à des molécules, appelées polyphénols, que l’on trouve dans le cacao utilisé dans la recette du chocolat. Ces molécules ont plusieurs propriétés telles qu’anti-oxydant ou anti-inflammatoire [2]. Néanmoins les mécanismes impliqués dans cet effet anti-anxiété du chocolat ne sont pas encore totalement élucidés.
Une piste pour expliquer la réduction de l’anxiété par le chocolat serait que cet aliment agit sur le microbiome intestinal. En effet, l’intestin est une partie du corps humain riche en micro-organismes mais qui est également entourée par de nombreux neurones. Ces neurones forment le système nerveux entérique qui vaut parfois le surnom de « second cerveau » à l’intestin. Des études ont montré que les molécules produites par le microbiome intestinal pouvaient avoir un effet sur ces neurones qui influencent à leur tour le cerveau [3]. Pour vérifier cette hypothèse, une étude scientifique, sur le lien entre le rôle anti-anxiété du chocolat noir et le microbiome intestinal, a été réalisée en Corée du sud.
Comment s’est déroulée l’étude ?
Dans le cadre de cette étude scientifique, 48 participants ont été recrutés puis placés dans un des trois groupes suivants : témoin, chocolat noir avec 70 % de cacao ou chocolat noir avec 85 % de cacao. Les participants des groupes chocolats (70 et 85 %) sont invités à manger trois fois par jour 10 grammes de chocolat pendant 3 semaines.
Un suivi des habitudes alimentaires et de l’humeur des participants est réalisé. Un test psychiatrique pour mesurer la dépression est également inclus dans l’étude. Pour étudier la diversité du microbiome intestinal, les participants sont invités à ramener des échantillons de leurs matières fécales avant et après l’étude. La diversité bactérienne, présente dans ces échantillons, est étudiée par une technique appelée métagénomique (ici qui consiste à séquencer le gène de l’ARNr 16S pour l’ensemble des bactéries présentes).
Le chocolat réduit les pensées négatives
Cette étude montre que la consommation de chocolat n’aurait pas d’effets sur les pensées positives. Par contre cet aliment réduirait les pensées négatives chez les personnes consommant du chocolat à 85 % de cacao tandis que les résultats sont similaires entre le groupe 70 % et témoin.
Des études précédentes avaient montré que les effets du chocolat sur l’humeur dépendaient de la quantité de cacao qu’il contenait. Plus il y a de cacao et plus les effets sont importants. Cela va dans le sens de ces nouveaux résultats puisqu’il n’y a pas d’effets pour la plus faible des deux concentrations (chocolat à 70 % de cacao).
Le chocolat modifie-t’il la composition du microbiome intestinal ?
L’étude des matières fécales permet d’observer une plus grande diversité de bactéries pour le groupe chocolat 85 % comparé au groupe témoin. Parmi les espèces bactériennes qui varient, on trouve notamment Blautia obeum qui est plus abondante contrairement à Faecalibacterium prausnitzii qui est moins présente chez le groupe mangeant du chocolat 85 %. Cette augmentation de la diversité du microbiome pourrait-elle être liée à l’amélioration de l’humeur ?
Comment expliquer l’effet des bactéries sur l’humeur ?
Dans cette étude, la bactérie Blautia obeum est retrouvée de façon plus fréquente chez les personnes consommant du chocolat noir à 85 % de cacao. Les polyphénols provenant du chocolat stimuleraient la croissance de cette bactérie ce qui expliquerait sa plus forte abondance. Elle pourrait être impliquée dans l’amélioration de l’humeur observée chez les participants de l’étude.
Blautia obeum est capable de produire du butyrate, une molécule connue pour avoir un effet positif sur l’humeur [5-6]. Les scientifiques émettent donc l’hypothèse que l’effet observé soit dû à la production de butyrate par cette bactérie. Cette molécule produite par la bactérie pourrait agir sur le système nerveux entérique et ainsi avoir un effet passant par l’axe intestin / cerveau.
La bactérie Blautia obeum ferait donc partie du groupe des « psychobiotiques » qui correspond aux micro-organismes ayant un effet bénéfique sur la santé mentale. L’hypothèse proposée par les scientifiques, est confortée par les résultats d’une étude précédente où Blautia obeum avait été trouvée plus fréquente dans le microbiome de personnes en bonne santé comparé à d’autres avec des troubles psychiatriques.
La bactérie Faecalibacterium est moins présente dans le groupe chocolat noir 85 %. Ce résultat peut paraître étrange car cette bactérie est connue également pour être un psychobiotique [7]. Elle avait déjà été trouvée de façon plus abondante chez des personnes « saines » comparées à d’autres souffrant de dépression. Des études chez la souris ont montré que l’injection de cette bactérie réduisait le stress et l’anxiété. Elle est également connue pour être l’un des principales membres du microbiome humain produisant du butyrate. Les raisons de cette diminution ne sont pas encore expliquées.
Limites de l’étude
L’une des limites de cette étude mise en avant par les scientifiques est l’absence d’un placébo pour le groupe témoin. En effet, ces participants ne consomment pas de chocolat ni un autre aliment à la place. Un autre biais, souligné par les auteurs, est que l’humeur est déterminée par les participants eux même et non par quelqu’un d’externe (et donc à priori plus objectif).
Perspectives de l’étude
Cette étude rejoint celles montrant un lien entre le microbiome intestinal et l’humeur. Les polyphénols du chocolat noir auraient un effet prébiotique en stimulant la croissance de micro-organismes bénéfiques pour l’humeur. De nouvelles études seront nécessaires pour mieux comprendre quels sont ces micro-organismes et comment ils agissent sur l’humeur.
D’autres aliments contenant des polyphénols pourraient avoir des effets similaires [8]. Par exemple le resvératrol, un polyphénol contenu dans des fruits comme le raisin, est aussi connu pour modifier le microbiome intestinal et améliorer l’humeur [9]. Le thé est un autre exemple d’aliment riche en polyphénols et qui permettrait de lutter contre l’anxiété [10].
Référence de l’étude
Shin, J. H., Kim, C. S., Cha, L., Kim, S., Lee, S., Chae, S., Chun, W. Y., & Shin, D. M. (2022). Consumption of 85% cocoa dark chocolate improves mood in association with gut microbial changes in healthy adults: A randomized controlled trial. The Journal of nutritional biochemistry, 99, 108854. https://doi.org/10.1016/j.jnutbio.2021.108854 (lien)
Pour plus d’informations
[1] Tsang, C., Hodgson, L., Bussu, A., Farhat, G., & Al-Dujaili, E. (2019). Effect of polyphenol-rich dark chocolate on salivary cortisol and mood in Adults. Antioxidants (Basel, Switzerland), 8(6), 149. (lien)
[2] Fraga, C. G., , Croft, K. D., , Kennedy, D. O., , & Tomás-Barberán, F. A., (2019). The effects of polyphenols and other bioactives on human health. Food & function, 10(2), 514–528. (lien)
[3] Margolis, K. G., Cryan, J. F., & Mayer, E. A. (2021). The microbiota-gut-brain axis: From motility to mood. Gastroenterology, 160(5), 1486–1501. doi.org/10.1053/j.gastro.2020.10.066 (lien)
[4] Sender, R., Fuchs, S., & Milo, R. (2016). Revised estimates for the number of human and bacteria cells in the body. PLoS Biology, 14(8), e1002533. doi:10.1371/journal.pbio.1002533 (lien)
[5] Liu, X., Mao, B., Gu, J., Wu, J., Cui, S., Wang, G., Zhao, J., Zhang, H., & Chen, W. (2021). Blautia-a new functional genus with potential probiotic properties?. Gut microbes, 13(1), 1–21. (lien)
[6] Lawson, P. A., & Finegold, S. M. (2015). Reclassification of Ruminococcus obeum as Blautia obeum comb. nov. International journal of systematic and evolutionary microbiology, 65(Pt 3), 789–793. doi.org/10.1099/ijs.0.000015 (lien)
[7] Hao, Z., Wang, W., Guo, R., & Liu, H. (2019). Faecalibacterium prausnitzii (ATCC 27766) has preventive and therapeutic effects on chronic unpredictable mild stress-induced depression-like and anxiety-like behavior in rats. Psychoneuroendocrinology, 104, 132–142. (lien)
[8] Zhou, NIan; Gu, Xinyi; Zhuang, Tongxi; Xu, Ying; Yang, Li; Zhou, Mingmei (2020). Gut microbiota: A pivotal hub for polyphenols as antidepressants. Journal of Agricultural and Food Chemistry, (), acs.jafc.0c01461–. (lien)
[9] Chung, J. Y., Jeong, J. H., & Song, J. (2020). Resveratrol modulates the gut-brain axis: Focus on glucagon-like peptide-1, 5-HT, and gut microbiota. Frontiers in aging neuroscience, 12, 588044. (lien)
[10] Rothenberg, D. O., & Zhang, L. (2019). Mechanisms underlying the anti-depressive effects of regular tea consumption. Nutrients, 11(6), 1361. (lien)
Catégorie santé
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