Pourquoi construire les engins spatiaux dans des pièces stériles ?
Posté : 27 octobre 2020 / Mis-à-jour : 7 avril 2024
Temps de lecture : 9 minutes
Depuis les premiers essais de vols spatiaux, de nombreux organismes ont été envoyés dans l’espace pour répondre à des questions scientifiques. Ces recherches permettent par exemple de développer de nouvelles biotechnologies ou de mieux comprendre le fonctionnement des micro-organismes.
D’autres micro-organismes se retrouvent de façon involontaire dans l’espace. Ceux-ci sont présents sur les engins spatiaux en tant que « passagers clandestins ». Ils peuvent s’être fixés sur ces engins durant leur fabrication. Pour limiter la présence de micro-organismes sur les engins spatiaux, ils sont construits dans des usines avec des normes d’hygiènes strictes. Pourquoi prendre de telles mesures ?
Panspermie : dissémination de la vie dans l’espace
Il est nécessaire de limiter la présence de micro-organismes envoyés dans l’espace afin de ne pas contaminer des appareils destinés à la recherche de vie extra-terrestre. En effet, une bactérie provenant de la Terre pourrait être considérée à tort comme une vie extra-terrestre. Si les micro-organismes survivent au voyage spatial et arrivent à se développer sur des astres comme des planètes ou des satellites, ils pourraient en modifier de façon irréversible l’état.
L’espace est souvent montré comme un milieu hostile dans la culture populaire. Néanmoins, de nombreux micro-organismes sont capables d’y survivre. Par exemple, les spores de la bactérie Thermoanaerobacter siderophilus placées dans un bloc de roche à la surface d’un satellite russe ont survécu à leur rentrée dans l’atmosphère terrestre [1]. Le but de cette expérience était d’étudier la survie de ces spores dans un astéroïde (ici simulé via le satellite). Un autre exemple correspond à une expérience scientifique qui indique que les bactéries Deinococcus spp. ont survécu pendant trois ans dans le vide spatiale à la surface de l’ISS (station spatial internationale) [2].
Le fait que des micro-organismes arrivent à survivre dans l’espace et lors de la rentrée dans l’atmosphère, laisse penser qu’ils pourraient coloniser d’autres planètes et en modifier les caractéristiques. Un terme a été inventé pour désigner une telle colonisation d’une planète à une autre : la panspermie [3 ; 4]. L’apparition de la vie sur la Terre pourrait être expliquée en partie par ce phénomène. En effet, de nombreuses molécules organiques, constituants de la vie, ont été retrouvées dans des astéroïdes. Le bombardement de la Terre par des astéroïdes durant sa formation aurait pu apporter ces molécules facilitant ainsi l’apparition de la vie [5].
Pour limiter ces contaminations, des mesures ont été prises par le traité sur l’espace des Nations-Unies en 1967 [6]. Ces mesures correspondent à instaurer des normes d’hygiène pour l’assemblage des engins spatiaux et à leur stérilisation si besoin. Une fois en vol, la trajectoire de ces engins spatiaux peut être ajustée pour éviter de percuter une planète et y introduire des micro-organismes.
Dans quelles conditions sont assemblés les engins spatiaux ?
Pour éviter de telles contaminations, les engins spatiaux sont assemblés dans une pièce, avec un environnement contrôlé, appelée salle propre (ou parfois salle blanche). Ces salles propres existent également dans l’industrie pharmaceutiques, en milieu hospitalier, en agro-alimentaire et dans d’autres domaines nécessitant une hygiène stricte.
De nombreux micro-organismes sont présents dans l’air, par exemple fixés sur des aérosols (petites particules suspendues dans l’air). Ces aérosols peuvent être des micro-organismes ou des particules comme de la poussière [7]. Pour limiter leur entrée dans ces salles, des filtres sont utilisés pour retenir les aérosols contenus dans l’air.
Pour éviter l’entrée de micro-organismes lors d’un courant d’air, la pression est maintenue positive à l’intérieur de la pièce. C’est-à-dire que lorsque la porte de la pièce s’ouvre, la pression de l’air va faire sortir de l’air et éviter l’entrée d’air et ainsi de potentielles contaminations.
L’humidité de l’air dans les salle propres est aussi ajustée en fonction des besoins. Modifier l’humidité de l’air permet de réduire la croissance des micro-organismes. Dans ses usines d’assemblage d’engins spatiaux, la NASA instaure une humidité relative comprise entre 30 et 50 % [8 ; 9]. Il s’agit d’un intervalle connu pour limiter la croissance et également pour tuer certains micro-organismes [10]. Néanmoins, limiter la croissance microbienne n’est pas la seule raison de modifier l’humidité. L’air ne doit pas être trop sec ou trop humide pour le confort des employés travaillant dans ces pièces. L’humidité doit également être régulée pour des intérêts industriels tels qu’éviter la dégradation ou la corrosion de produits ainsi que pour limiter les charges électrostatiques qui peuvent endommager les circuits électroniques.
La température est également ajustée pour limiter la croissance bactérienne. Dans ses usines d’assemblage d’engins spatiaux, la NASA instaure une température de 20 °C avec une marge de 4 °C [8 ; 9]. De nouveau en plus de limiter la croissance des micro-organismes, la température doit être adaptée pour le confort des employés et la manipulation de certains composants ou ingrédients.
Les micro-organismes d’origine humaine sont une source importante de contamination. Les employés portent des combinaisons, des masques et des gants à l’intérieur de ces pièces pour éviter de déposer des micro-organismes. Les effets personnels comme les clés ou des bijoux sont laissées dans des casiers en dehors de la salle propre. En plus de porter ce matériel, ils ne doivent pas utiliser de maquillage ou de cosmétique. Les salles propres font intervenir du personnel qualifié et peu nombreux. Ils ne doivent pas courir et ne pas toucher d’objets non reliés à leur travail.
Des nettoyages fréquents sont également réalisés dans ces salles : respectivement une et deux fois par jour pour le sol et les surfaces, dans les usines de la NASA [8 ; 9]. Dans le cadre des engins spatiaux, les surfaces de travail et les matériaux sont nettoyés avec de l’éthanol et de l’isopropanol tandis que des détergents industriels sont utilisés pour les sols.
Stériliser des engins spatiaux
En plus de ces mesures visant à limiter l’introduction de micro-organismes, les engins spatiaux peuvent aussi être stériliser, en fin d’assemblage, lorsqu’ils interviennent dans des missions délicates [4]. Parmi les méthodes utilisées dans l’aérospatial, on utilise selon les matériaux à traiter la chaleur sèche, la vapeur de peroxyde d’hydrogène (H2O2) ou les rayonnements ionisants (rayons gamma ou faisceau d’électrons).
Détection de micro-organismes dans les salles propres.
De nombreuses analyses sont effectuées pour valider l’hygiène dans les salles propres. Malgré les mesures prises, des micro-organismes sont quand même retrouvés lors d’analyses de ces pièces [8 ; 9]. Les micro-organismes adaptés à ces conditions très défavorables sont ironiquement les plus à même de survivre lors d’un voyage dans l’espace [8]. Une série de prélèvements dans la zone d’assemblage de la NASA (Jet Propulsion Laboratory) a permis la découverte d’une nouvelle bactérie résistante aux antibiotiques.
Kineococcus rubinsiae B12T une nouvelle bactérie
Lors de prélèvements qui avaient pour but d’isoler des mycètes, une bactérie résistante à un antibiotique (chloramphénicol) a été découverte. Des analyses ont permis d’identifier cette nouvelle bactérie qui a été nommée Kineococcus rubinsiae B12T en hommage à l’astronaute Kate Rubins qui est une microbiologiste et également la première personne à avoir séquencé de l’ADN dans l’espace.
Cette bactérie possède une morphologie sphérique (en forme de coque). Elle est trouvée principalement sous forme de cellule individuelle mais des groupements (par deux ou en tétrade) sont également trouvés. Kineococcus rubinsiae B12T produit un pigment qui la colore en orange. Elle est capable de se développer dans un environnement pauvre en nutriments : on parle de milieu oligotrophe.
Comment survivre dans une salle propre ?
L’analyse de la séquence d’ADN de cette bactérie fournit des informations permettant d’expliquer sa survie dans cet environnement défavorable. Des gènes impliqués dans la résistance au stress osmotique permettrait d’expliquer l’adaptation à la faible humidité. Elle possède aussi des gènes qui seraient impliqués dans la dégradation des nettoyants et de produits industriels comme le DDT, le chlorocyclohéxane, le chlorobenzène, le benzoate, le bisphénol, le fluorobenzoate ou le furfural.
Des gènes impliqués dans la synthèse d’antibiotiques ont été aussi découverts dans le génome de cette bactérie : tétracylcine, puromycine, pénicilline, céphalosporine et novobiocine. Produire des antibiotiques permettrait à cette bactérie d’éliminer la concurrence et ainsi de profiter des nutriments (présents en faible quantité dans cet écosystème).
Perspectives de l’étude
La découverte de cette nouvelle bactérie pourra permettre d’adapter les méthodes de désinfection dans ce type industrie et ainsi limiter le risque de panspermie. Kineococcus rubinsiae B12T est également un choix intéressant pour la production d’antibiotiques par des industries.
Référence de l’étude
Mhatre, S., Singh, N. K., Wood, J. M., Parker, C. W., Pukall, R., Verbarg, S. ,Tindall, B. J., Neumann-Schaal, M., & Venkateswaran, K. (2020) Description of chloramphenicol resistant Kineococcus rubinsiae sp. nov. isolated from a spacecraft assembly facility. Front. Microbiol. 11:1957.doi: 10.3389/fmicb.2020.01957 (lien)
Pour plus d’informations
[1] Slobodkin A, Gavrilov S, Ionov V, & Iliyin V (2015) Spore-forming thermophilic bacterium within artificial meteorite survives entry into the Earth’s atmosphere on FOTON-M4 satellite landing module. PLoS ONE 10(7): e0132611. doi:10.1371/journal.pone.0132611 (lien)
[2] Kawaguchi, Y., Shibuya, M., Kinoshita, I., Yatabe, J., Narumi, I., Shibata, H., Hayashi, R., Fujiwara, D., Murano, Y., Hashimoto, H., Imai, E., Kodaira, S., Uchihori, Y., Nakagawa, K., Mita, H., Yokobori, S., & Yamagishi, A. (2020) DNA damage and survival time course of Deinococcal cell pellets during 3 years of exposure to outer space. Front. Microbiol. 11:2050. doi: 10.3389/fmicb.2020.02050 (lien)
[3] Moissl-Eichinger, C., Cockell, C., & Rettberg, P. (2016). Venturing into new realms? Microorganisms in space. FEMS Microbiology Reviews, 40(5), 722–737. doi:10.1093/femsre/fuw015 (lien)
[4] Frick, A., Mogul, R., Stabekis, P., Conley, C. A., & Ehrenfreund, P. (2014). Overview of current capabilities and research and technology developments for planetary protection. Advances in Space Research, 54(2), 221–240. doi:10.1016/j.asr.2014.02.016 (lien)
[5] Osinski, G. R., Cockell, C. S., Pontefract, A., & Sapers, H. M. (2020). The role of meteorite impacts in the origin of life. Astrobiology, 20(9), 1121–1149. doi.org/10.1089/ast.2019.2203 (lien)
[6] Traité sur les principes régissant l’activité des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, , y compris la Lune et les autres corps célestes; signé le 27 janvier 1967 dans le cadre des Nations Unis par les États-Unis, l’URSS et le Royaume-Uni 1967 (lien)
[7] Malli Mohan, G. B., Stricker, M. C., & Venkateswaran, K. (2019). Microscopic characterization of biological and inert particles associated with spacecraft assembly cleanroom. Scientific Reports, 9(1). doi:10.1038/s41598-019-50782-0 (lien)
[8] La Duc, M. T., Vaishampayan, P., Nilsson, H. R., Torok, T., & Venkateswaran, K. (2012). Pyrosequencing-derived bacterial, archaeal, and fungal diversity of spacecraft hardware destined for Mars. Applied and Environmental Microbiology, 78(16), 5912–5922. doi:10.1128/aem.01435-12 (lien)
[9] Mogul, R., Barding, G. A., Lalla, S., Lee, S., Madrid, S., Baki, R., … & Walker, J. (2018). Metabolism and biodegradation of spacecraft cleaning reagents by strains of spacecraft-associated Acinetobacter. Astrobiology. doi:10.1089/ast.2017.1814 (lien)
[10] Zoz, F., Iaconelli, C., Lang, E., Iddir, H., Guyot, S., Grandvalet, C., Gervais, P., & Beney, L. (2016). Control of relative air humidity as a potential means to improve hygiene on surfaces: A preliminary approach with Listeria monocytogenes. PLoS ONE, 11(2), e0148418. (lien)
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