Quelle bactérie modèle pour les études dans l’espace ?

Temps de lec­ture : 4 minutes

En plus d’être pré­sents sur Terre, les micro-orga­nismes peuvent aus­si être trou­vés dans les sta­tions spa­tiales construites par les humains. Ces micro-orga­nismes pour­raient être uti­li­sés pour le trai­te­ment des eaux usées dans l’es­pace ou la pro­duc­tion de médi­ca­ments. Cependant, dans cer­tains cas, ils peuvent aus­si conduire à des maladies.

La faible gra­vi­té (micro­pe­san­teur) pré­sente à bord des sta­tions spa­tiales et les rayon­ne­ments cos­miques peuvent affai­blir le sys­tème immu­ni­taire des astro­nautes les ren­dant ain­si plus sus­cep­tibles à ces micro-orga­nismes. De plus ces phé­no­mènes peuvent aus­si avoir un impact sur les micro-orga­nismes. Par exemple, la bac­té­rie Salmonella Typhimurium est plus viru­lente lors­qu’elle est étu­diée en micro­pe­san­teur. L’étude de micro-orga­nismes dans l’es­pace doit tenir compte de leur pou­voir patho­gène et du risque asso­cié pour les astro­nautes. Ces études dans l’es­pace ou sur Terre repose sur l’u­ti­li­sa­tion d’or­ga­nismes modèles.

Organismes modèles

En bio­lo­gie, les études scien­ti­fiques se concentrent géné­ra­le­ment sur quelques orga­nismes bien connus (ex : sou­ris) appe­lés orga­nismes modèles. À par­tir des résul­tats obte­nus pour ces orga­nismes, on peut ensuite étu­dier plus faci­le­ment d’autres orga­nismes proches. Un orga­nisme modèle doit être facile à culti­ver, avoir un temps de géné­ra­tion court, ne pas être patho­gène, …

En micro­bio­lo­gie, les bac­té­ries modèles cou­ram­ment uti­li­sées sont par exemple Escherichia coli et Bacillus sub­ti­lis. Une récente étude pro­pose d’u­ti­li­ser la souche bac­té­rienne Vibrio natrie­gens comme modèle d’étude pour les cultures en micropesanteur. 

Vibrio natriegens

Vibrio natrie­gens est l’une des bac­té­ries connues se déve­lop­pant le plus vite. Son temps de géné­ra­tion est infé­rieur à 10 minutes. C’est-à-dire qu’il faut moins de 10 minutes à cette bac­té­rie pour se repro­duire et dou­bler sa popu­la­tion. En une heure, il est ain­si pos­sible de pas­ser de 1 à 64 bac­té­ries. Pour com­pa­rai­son, Escherichia coli une bac­té­rie cou­ram­ment uti­li­sée en labo­ra­toire, pos­sède un temps de géné­ra­tion de 20 minutes. Le temps de géné­ra­tion court de Vibrio natrie­gens per­met d’ob­te­nir faci­le­ment une grande quan­ti­té de cette bactérie.

Temps de génération de Vibrio natriegens.
Vibrio natrie­gens est capable de se mul­ti­plier en moins de 10 minutes lorsque ses condi­tions de cultures sont optimales.

En plus d’être rapide et facile à culti­ver, Vibrio natrie­gens pos­sède d’autres avan­tages comme celui d’être non patho­gène pour les humains. La séquence de son ADN est connue. Des outils géné­tiques existent pour cette bac­té­rie ce qui faci­lite son étude.

Culture et résistance aux antibiotiques en micro-gravité

Certaines bac­té­ries deviennent résis­tantes aux anti­bio­tiques lors­qu’elles sont en culti­vées micro­pe­san­teur. Une expé­rience est donc réa­li­sée pour tes­ter la sen­si­bi­li­té de Vibrio natrie­gens à un anti­bio­tique (rifam­pi­cine) lors de cultures en micropensanteur.

L’expérience n’est pas réa­li­sée direc­te­ment dans l’es­pace mais sur Terre. Pour cela, un appa­reil appe­lé cli­no­stat est uti­li­sé pour réduire les effets de la gra­vi­té ter­restre et ain­si simu­ler la micro­pe­san­teur. Cet appa­reil est un moteur fai­sant tour­ner un disque autour d’un axe (60 rota­tions par minute dans cette étude). Les bac­té­ries pré­sentes sur un milieu solide dans des boites de Petri qui sont atta­chées à cet appa­reil subissent une rota­tion autour d’un axe.

Schéma d'un clinostat.
Schéma d’un cli­no­stat avec à l’in­té­rieur des boites de Petri.

Au bout de 24 heures de cultures, le nombre de bac­té­ries est plus impor­tant en micro­pe­san­teur simu­lée que pour les cultures immo­biles. La micro­pe­san­teur semble donc favo­ri­ser la culture de cette bac­té­rie. Des obser­va­tions en micro­sco­pie optique n’indiquent pas de dif­fé­rences de forme (mor­pho­lo­gie) après culture en micro­pe­san­teur simu­lée. L’anti­bio­tique tes­té est aus­si effi­cace sur les bac­té­ries ayant subi ou non la micro­pe­san­teur. Cela indique que l’ef­fi­ca­ci­té n’est pas modi­fié par la culture micropesanteur.

Perspectives de l’étude

Les résul­tats de cette étude indiquent que Vibrio natrie­gens pour­rait être une souche bac­té­rienne inté­res­sante pour les études en micropesanteur.

Les résul­tats des études dans l’es­pace ou sur Terre peuvent appor­ter des infor­ma­tions utiles en dehors de l’aé­ro­spa­tiale. Par exemple, mieux com­prendre com­ment les micro-orga­nismes deviennent patho­gènes ou alors déve­lop­per de nou­velles méthodes de cultures sur Terre.

Référence de l’étude

Garschagen, L. S., Mancinelli, R. L., & Moeller, R. (2019). Introducing Vibrio natrie­gens as a micro­bial model orga­nism for micro­gra­vi­ty research. Astrobiology. doi:10.1089/ast.2018.2010 (lien)


Bibliographie sup­plé­men­taire

Higginson, E. E., Galen, J. E., Levine, M. M., & Tennant, S. M. (2016). Microgravity as a bio­lo­gi­cal tool to exa­mine host–pathogen inter­ac­tions and to guide deve­lop­ment of the­ra­peu­tics and pre­ven­ta­tives that tar­get patho­ge­nic bac­te­ria. Pathogens and Disease, 74(8), ftw095. doi:10.1093/femspd/ftw095 (lien)

Payne, W. J., Eagon, R. G., & Williams, A. K. (1961). Some obser­va­tions on the phy­sio­lo­gy of Pseudomonas natrie­gens nov. spec. Antonie van Leeuwenhoek, 27(1), 121128. doi:10.1007/bf02538432 (lien)

Rosenzweig, J. A., Ahmed, S., Eunson, J., & Chopra, A. K. (2014). Low-shear force asso­cia­ted with mode­led micro­gra­vi­ty and spa­ce­flight does not simi­lar­ly impact the viru­lence of notable bac­te­rial patho­gens. Applied Microbiology and Biotechnology, 98(21), 87978807. doi:10.1007/s00253-01460258 (lien)

Weinstock, M. T., Hesek, E. D., Wilson, C. M., & Gibson, D. G. (2016). Vibrio natrie­gens as a fast-gro­­wing host for mole­cu­lar bio­lo­gy. Nature Methods, 13(10), 849851. doi:10.1038/nmeth.3970 (lien)

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0 réflexion sur “Quelle bactérie modèle pour les études dans l’espace ?”

  1. S

    Hello,

    A quoi sont dues les modi­fi­ca­tions de viru­lence et de résis­tance en micropesanteur ?

    Et vu la rapi­di­té de crois­sance de V. natrie­gens, pour­quoi tous les labos ne l’u­ti­lisent-ils pas pour l’am­pli­fi­ca­tion de plasmides ?
    On aurait des temps d’in­cu­ba­tion d’une demie jour­née (au lieu d’un clas­sique over night) et il serait pos­sible de réduire les temps d’at­tente de manière signi­fi­ca­tive. Typiquement, une trans­for­ma­tion et une extrac­tion de plas­mides lors de la même journée.

    1. B

      Pour l’aug­men­ta­tion de viru­lence, cela s’ap­plique pour beau­coup de bac­té­ries mais pas for­cé­ment pour toutes. Certaines comme Yersinia pes­tis au contraire sont moins viru­lentes en micro-pesan­teur. L’augmentation de la viru­lence peut pro­ve­nir de l’ex­pres­sion de gènes de réponse au stress ou de l’aug­men­ta­tion de la pro­duc­tion de bio­film par exemple. Au vue des publi­ca­tions que j’ai lu, j’ai l’im­pres­sion qu’il n’y a pas un méca­nisme géné­ral qui explique tous ces chan­ge­ments de viru­lence. Il y aurait plu­tôt plu­sieurs méca­nismes qui peuvent être spé­ci­fiques pour chaque bactérie.

      Higginson, E. E., Galen, J. E., Levine, M. M., & Tennant, S. M. (2016). Microgravity as a bio­lo­gi­cal tool to exa­mine host–pathogen inter­ac­tions and to guide deve­lop­ment of the­ra­peu­tics and pre­ven­ta­tives that tar­get patho­ge­nic bac­te­ria. Pathogens and Disease, 74(8), ftw095. doi:10.1093/femspd/ftw095

      Oui V. natrie­gens pour­rait être uti­li­sée pour la pro­duc­tion de plas­mides. C’est ce que pro­pose cer­tains scien­ti­fiques. Il y a plein de rai­sons d’utiliser cette bac­té­rie : culture rapide et facile, génome séquen­cé, outils géné­tiques. Je pense que c’est un outil qui va se déve­lop­per dans les années à venir. C’est juste qu’il y a une latence dans les chan­ge­ments d’ha­bi­tudes et de pro­to­coles. Quand on a une méthode qui marche et que l’on a uti­li­sé pen­dant des années c’est com­pli­qué de par­tir sur quelque chose de com­plé­te­ment nouveau.

      Weinstock, M. T., Hesek, E. D., Wilson, C. M., & Gibson, D. G. (2016). Vibrio natrie­gens as a fast-gro­wing host for mole­cu­lar bio­lo­gy. Nature Methods, 13(10), 849851. doi:10.1038/nmeth.3970 

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