Peut-on imprimer en 3D des objets stériles ?

Temps de lec­ture : 6 minutes

Les impri­mantes 3D se sont démo­cra­ti­sées ces der­nières années. Les modèles d’en­trée de gamme sont de l’ordre de 100 à 200 euros ce qui per­met un accès aux par­ti­cu­liers. Cela ouvre de nom­breuses oppor­tu­ni­tés dans la vie cou­rante ain­si que dans le monde indus­triel et scien­ti­fique. Ces impri­mantes per­mettent aux scien­ti­fiques de créer faci­le­ment des outils pour leurs recherches. En bio­lo­gie et plus par­ti­cu­liè­re­ment en micro­bio­lo­gie, la sté­ri­li­té est un para­mètre impor­tant pour un objet. Peut-on obte­nir des objets sté­riles avec une impri­mante 3D ? Plusieurs équipes de recherches aux États-Unis se sont pen­chées sur cette question.

Principe de l’impression 3D

Plusieurs tech­no­lo­gies d’im­pri­mante 3D existent. Parmi celles-ci, les scien­ti­fiques ont étu­dié l’im­pres­sion par dépôt de fil fon­du qui est une tech­nique cou­ram­ment uti­li­sée. L’impression sur un sup­port se fait par des dépôts suc­ces­sifs d’un fila­ment de plas­tique fondu.

Principe de l’im­pres­sion 3D par dépôt de fil fon­du. Une buse d’im­pres­sion mobile va chauf­fer un fila­ment de plas­tique pour le faire fondre avant de le dépo­ser sur le sup­port d’im­pres­sion. Le plas­tique rede­vient solide lorsque sa tem­pé­ra­ture dimi­nue. En mul­ti­pliant les couches suc­ces­sives de plas­tique, il est pos­sible d’ob­te­nir des objets en 3D.

L’impression par dépôt de fil fon­du uti­lise un type par­ti­cu­lier de plas­tique, appe­lé ther­mo­plas­tique, dont la dure­té varie avec la tem­pé­ra­ture. Lorsqu’un ther­mo­plas­tique est chauf­fé il se ramol­lit puis retrouve sa dure­té ori­gi­nelle lors­qu’il refroi­dit. Le ther­mo­plas­tique uti­li­sé dans cette étude est le PLA (acide poly­lac­tique ou poly­lac­tic acid en anglais). Il est obte­nu par la fer­men­ta­tion bac­té­rienne d’a­mi­don de maïs. Ce plas­tique est issu d’une matière renou­ve­lable, il se ramol­lit à une tem­pé­ra­ture plus faible que d’autres plas­tiques ; il est éga­le­ment bio­dé­gra­dable et pré­sente une faible toxi­ci­té. Du fait de ses qua­li­tés, il est sou­vent uti­li­sé en impres­sion 3D et éga­le­ment en bio­lo­gie médi­cale pour la fabri­ca­tion d’im­plants médicaux.

Le PLA est un ther­mo­plas­tique uti­li­sé cou­ram­ment pour l’im­pres­sion 3D. Il est issu de la fer­men­ta­tion bac­té­rienne des sucres pré­sents dans l’a­mi­don de maïs. Le poly­mère de plas­tique (acide poly­lac­tique) est basé sur la répé­ti­tion d’une struc­ture de base (mono­mère ; acide lactique).

Impression 3D et pasteurisation

Lors de l’im­pres­sion 3D, le plas­tique est chauf­fé puis pous­sé sous haute pres­sion à tra­vers la buse d’im­pres­sion. Ce pro­cé­dé res­semble à la pas­teu­ri­sa­tion qui est une tech­nique de pré­ser­va­tion des ali­ments (lait, vin, jus de fruits, …). La pas­teu­ri­sa­tion per­met d’é­li­mi­ner de manière phy­sique (via la cha­leur) les micro-orga­nismes (non spo­ru­lés) tout en ayant un impact minime sur la qua­li­té du pro­duit. Dans la pas­teu­ri­sa­tion, les ali­ments sont chauf­fés pen­dant une brève durée puis refroi­dis rapi­de­ment. Cette tech­nique a été bre­ve­tée par Louis Pasteur, suite à ses tra­vaux sur la sté­ri­li­sa­tion du vin, ce qui lui vaut son nom.

En fonc­tion de l’a­li­ment à sté­ri­li­ser et des micro-orga­nismes pou­vant être pré­sents dedans, plu­sieurs types de pas­teu­ri­sa­tion peuvent être utilisés.

  • Pasteurisation : quelques dizaines de secondes entre 82 et 88 °C.
  • Pasteurisation flash : 20 secondes à 72 °C.
  • Pasteurisation à ultra-haute tem­pé­ra­ture : 2 secondes entre 130 et 150 °C.

Lors de l’im­pres­sion 3D, le plas­tique reste pen­dant 10 à 120 secondes à une tem­pé­ra­ture allant de 190 à 240 °C. Les auteurs de l’é­tude sug­gèrent que la cha­leur et la pres­sion exer­cées sur le plas­tique lors de l’im­pres­sion suf­fisent pour obte­nir un maté­riel sté­rile. La sté­ri­li­té de l’ob­jet impri­mé dépend du plas­tique mais éga­le­ment des condi­tions dans les­quelles l’im­pres­sion est réa­li­sée. Par exemple, uti­li­ser un maté­riel sté­rile mais impri­mer sur une sur­face non sté­rile n’au­rait pas de sens. De même des cou­rants d’airs pour­raient conta­mi­ner l’ob­jet alors qu’il est en cours d’impression.

Schéma sim­pli­fié d’une tête d’ex­tru­deuse. Le fila­ment de plas­tique est pous­sé vers le bloc chauf­fant par des rouages. Il va res­ter pen­dant 10 à 120 secondes à tem­pé­ra­ture de 190 à 240 °C. Cela ramol­lit le plas­tique qui sort par la buse avant d’être dépo­sé sur la sur­face d’impression.

Méthodologie de l’étude

Si le plas­tique fon­du sor­tant de la buse est bien sté­rile, il faut éga­le­ment que l’ob­jet soit impri­mé dans des condi­tions sté­riles. Pour évi­ter une conta­mi­na­tion de l’ob­jet, par des par­ti­cules pré­sentes dans l’air, l’imprimante 3D est pla­cée à l’in­té­rieur d’une hotte à flux lami­naire. Cet appa­reil filtre l’air à l’in­té­rieur de la hotte puis le dirige vers l’utilisateur. Ce mou­ve­ment empêche l’air non sté­rile de ren­trer à l’in­té­rieur de la hotte. Cela per­met d’é­vi­ter la conta­mi­na­tion de l’ob­jet pré­sent sur le plan de travail. 

Le filtre uti­li­sé dans la hotte retient les par­ti­cules pré­sentes dans l’air telles que les bac­té­ries ou les mycètes. Une lampe UV peut être uti­li­sée à l’in­té­rieur de la hotte pour sté­ri­li­ser la plan de travail. 

L’intérieur de la hotte à flux lami­naire est sté­ri­li­sé à l’aide d’une lampe UV. Cette lampe reste allu­mée durant l’im­pres­sion. Le sup­port d’im­pres­sion est aus­si sté­ri­li­sé. L’objet est impri­mé sur une sur­face sté­ri­li­sée avec de l’é­tha­nol ou du papier alu­mi­nium flambé.

Pour véri­fier que l’im­pres­sion 3D per­mette d’ob­te­nir du maté­riel sté­rile, des cylindres creux de 10 mm sont impri­més puis pla­cés dans plu­sieurs milieux de culture pour bac­té­ries. Si le plas­tique n’est pas sté­rile, les bac­té­ries pré­sentes devraient se déve­lop­per dans ces milieux. Utiliser plu­sieurs milieux de cultures per­met de tes­ter plu­sieurs envi­ron­ne­ment dif­fé­rents pour la crois­sance bac­té­rienne et donc d’aug­men­ter la pro­ba­bi­li­té de détec­ter un contaminant.

Résultats de l’étude

Les expé­riences ont été réa­li­sées dans trois labo­ra­toires dif­fé­rents pour s’as­su­rer de la répé­ta­bi­li­té des résul­tats. Plusieurs jours après l’im­pres­sion, les milieux de culture conte­nant les objets sont exa­mi­nés. La crois­sance bac­té­rienne se tra­duit par l’apparition d’un trouble dans le milieu de culture. Or dans ces expé­riences, aucune crois­sance bac­té­rienne n’est obser­vée dans les condi­tions tes­tées. Cela per­met de conclure que le plas­tique est sté­rile après son pas­sage dans la buse d’impression. 

Des témoins (posi­tifs) avec une conta­mi­na­tion bac­té­rienne sont réa­li­sés en fai­sant tom­ber des cylindres par terre puis en les ramas­sant à mains nues. Des témoins néga­tifs sont réa­li­sés en absence d’ob­jet impri­mé pour véri­fier que le milieu de culture soit stérile.

Perspectives de l’étude

Les auteurs de l’é­tude n’ont pas trou­vé de conta­mi­na­tions bac­té­riennes des objets impri­més en 3D. Le plas­tique serait donc sté­rile après avoir été chauf­fé. Néanmoins pour obte­nir un objet sté­rile, il faut que l’im­pres­sion ait lieu dans des condi­tions sté­riles. Les auteurs pro­posent d’u­ti­li­ser les impri­mantes 3D pour l’im­pres­sion d’ou­tils spé­ci­fiques. Par exemple l’im­pres­sion d’une “piste de nage” pour étu­dier le dépla­ce­ment des bactéries.

     

Modèle 3D, d’une piste de nage pour bac­té­ries. Un milieu de culture géli­fié est dépo­sé dans les rigoles de la plaque. Il est ain­si pos­sible de com­pa­rer le dépla­ce­ment de plu­sieurs bac­té­ries dif­fé­rentes sur la même plaque. Ce modèle 3D (au for­mat .stl) peut être télé­char­gé via ce lien.

Cette étude se concentre sur la sté­ri­li­té de l’ob­jet durant l’im­pres­sion. Mais il est éga­le­ment pos­sible de sté­ri­li­ser l’ob­jet après l’im­pres­sion. Une tech­nique uti­li­sée cou­ram­ment en labo­ra­toire, l’au­to­cla­vage, est contro­ver­sée avec les ther­mo­plas­tiques. La dure­té des ther­mo­plas­tiques étant réver­sible, les tem­pé­ra­tures uti­li­sées lors de l’au­to­cla­vage risquent de ramol­lir l’ob­jet et de lui faire perdre sa forme. Des études scien­ti­fiques indiquent des résul­tats contraires sur la sta­bi­li­té du PLA durant l’au­to­cla­vage. En atten­dant un consen­sus, l’u­ti­li­sa­tion en labo­ra­toire d’ob­jets impri­més en 3D reste un sujet prometteur.

Référence de l’étude

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Bibliographie com­plé­men­taire

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