À quelle vitesse se déplacent les bactéries ?

Temps de lec­ture : 7 minutes

La mobi­li­té est un fac­teur impor­tant pour la sur­vie des bac­té­ries. Elle per­met de se dépla­cer vers des nutri­ments, de fuir des molé­cules toxiques ou des pré­da­teurs, de ren­con­trer d’autres bac­té­ries ou orga­nismes avec les­quels inter­agir. Étudier cette mobi­li­té aide à mieux com­prendre l’a­dap­ta­tion des bac­té­ries à leur envi­ron­ne­ment. Parmi les dif­fé­rents modes de mobi­li­té pré­sents chez les bac­té­ries, on peut obser­ver les fla­gelles qui leur per­mettent de nager dans un milieu liquide. Comment se passe ce dépla­ce­ment et quelle est la vitesse de ces bactéries ?

Flagelle et mobilité bactérienne

Le fla­gelle est une struc­ture cel­lu­laire per­met­tant aux bac­té­ries de se dépla­cer dans un milieu liquide. Il est com­po­sé de trois par­ties : le fila­ment, le cro­chet et le corps basal. Le corps basal sert de “moteur” et conver­tit une éner­gie chi­mique (gra­dient de pro­ton) en une éner­gie phy­sique (rota­tion). La par­tie mobile de ce “moteur” peut tour­ner à une vitesse de 300 rota­tions par seconde chez Escherichia coli. Cette rota­tion est trans­mise au fila­ment via le cro­chet qui sert de lien entre ces deux éléments.

Schéma d'un flagelle
Schéma d’un fla­gelle chez une bac­té­rie à paroi Gram néga­tive. Le corps basal est com­po­sé d’une par­tie fixée à la paroi bac­té­rienne et d’une par­tie mobile. Le cro­chet est atta­ché à la par­tie mobile du corps basal et trans­met son mou­ve­ment au fila­ment. Les trois par­ties (corps basal, cro­chet et fila­ment) du fla­gelle sont com­po­sées de pro­téines.

La rota­tion du fla­gelle, dans le sens contraire aux aiguilles d’une montre, per­met de pro­pul­ser la bac­té­rie en avant. Le prin­cipe est simi­laire à celui d’une hélice qui fait avan­cer un bateau. Le “moteur” du fla­gelle peut aus­si tour­ner dans le sens des aiguilles d’une montre. Lorsque le sens de rota­tion du fla­gelle s’in­verse, cela dés­équi­libre la bac­té­rie qui va tour­ner sur elle même et ain­si chan­ger de direction.

Nage vs bascule

Le dépla­ce­ment d’une bac­té­rie com­po­sé d’une répé­ti­tion de phases de nage puis de chan­ge­ment de direc­tions (culbute). Ce mode de dépla­ce­ment peut sem­bler désor­don­né, à pre­mière vue. Cependant, les bac­té­ries sont capables de régu­ler la durée des phases de nage et de culbute pour s’ap­pro­cher d’un envi­ron­ne­ment favo­rable ou au contraire s’é­loi­gner d’un envi­ron­ne­ment défa­vo­rable : ce méca­nisme est appe­lé chimiotactisme. 

Déplacement d'une bactérie
Le mou­ve­ment des bac­té­ries est une alter­nance de phases de nage et de culbute.

Un mécanisme similaire chez toutes les bactéries ?

La recherche en micro­bio­lo­gie a été pen­dant long­temps très orien­tée vers les micro-orga­nismes patho­gènes pour les humains. Le dépla­ce­ment bac­té­rien a sur­tout été étu­dié chez les enté­ro­bac­té­ries patho­gènes telles que Escherichia coli et Salmonella Typhimurium. Ce qui est valable pour une par­tie des bac­té­ries ne l’est pas for­cé­ment pour toutes les autres. Chez des bac­té­ries vivant dans d’autres éco­sys­tèmes, l’u­ti­li­sa­tion des fla­gelles peut varier.

À par­tir du prin­cipe de base du fla­gelle, plu­sieurs confi­gu­ra­tions sont pos­sibles ce qui va influen­cer la nage. Certaines bac­té­ries pos­sèdent un seul fla­gelle, d’autres une dizaine tan­dis que cer­taines comme €œCandidatus Ovobacter pro­pel­lens en pos­sèdent plus de 400. La posi­tion des fla­gelles sur la bac­té­rie peut aus­si chan­ger. Le terme cilia­ture est uti­li­sé pour dési­gner la posi­tion des fla­gelles.

Plusieurs posi­tions (type de cilia­ture) sont pos­sibles pour les fla­gelles : mono­triche (un seul fla­gelle), amphi­trice (des fla­gelles à chaque extré­mi­té), lopo­triche (plu­sieurs fla­gelles à une seule extré­mi­té) ou péri­triche (plu­sieurs fla­gelles tout le long de la bactérie).

De nom­breux cas par­ti­cu­liers existent et le mode de dépla­ce­ment de cer­taines bac­té­ries reste encore mys­té­rieux. Ces modes de dépla­ce­ment per­mettent de s’a­dap­ter à des envi­ron­ne­ments dif­fé­rents par exemple des milieux plus ou moins vis­queux. C’est notam­ment le cas de la bac­té­rie marine Magnetococcus mari­nus MC‑1.

Magnetococcus marinus MC‑1

La bac­té­rie Magnetococcus mari­nus MC‑1 (M. mari­nus MC‑1) a été iso­lée dans les eaux de l’es­tuaire de la rivière Pettaquamscutt (États-Unis, Rhode Island). En plus de pos­sé­der des fla­gelles, cette bac­té­rie pos­sède une struc­ture cel­lu­laire appe­lée magné­to­some lui faci­li­tant le dépla­ce­ment le long du champ magné­tique ter­restre entre les sédi­ments et la colonne d’eau (pré­sente entre le fond et la surface).

Cette bac­té­rie a été iso­lée à l’in­ter­face entre les sédi­ments marins et la colonne d’eau. Cette inter­face est aus­si appe­lée zone oxique /​ anoxique. La colonne d’eau est riche en dioxy­gène (zone oxique) tan­dis que les sédi­ments en sont pauvres (zone anoxique). M. mari­nus MC‑1 se déplace entre ces deux zones pour trou­ver les nutri­ments néces­saires à sa crois­sance. Le nom de la souche MC‑1 signi­fie Magnetic Coccus #1.

M. mari­nus MC‑1 pos­sède deux fais­ceaux de fla­gelles pré­sents à l’une de ses extré­mi­tés. Ce type de cilia­ture est appe­lé bilo­po­triche. Les fais­ceaux contiennent cha­cun sept fla­gelles et sont entou­rés par une gaine (gly­co­pro­téine) dont la fonc­tion est encore spé­cu­la­tive. Cette gaine pour­rait per­mettre de limi­ter les forces de frot­te­ments ou alors de pro­té­ger les fla­gelles.

Étude du déplacement de Magnetococcus marinus MC‑1

Le mou­ve­ment de cette bac­té­rie est étu­dié dans un tube très fin (capil­laire de 200 µm) pla­cé sur une lame de micro­scope. À l’aide d’un micro­scope relié à un appa­reil pho­to, 400 images par seconde sont prises pour obser­ver le dépla­ce­ment. Des simu­la­tions infor­ma­tiques sont réa­li­sées pour tes­ter plu­sieurs modes de dépla­ce­ment pos­sibles. Ces résul­tats sont com­pa­rés avec ceux obte­nus par micro­sco­pie pour étu­dier ceux qui cor­res­pondent le plus à ce qui est observé.

Résultats de l’étude

L’étude confirme que la vitesse de M. mari­nus MC‑1 peut atteindre 500 µm.s1. Cette vitesse est supé­rieure à celle de nom­breuses bac­té­ries. Par exemple, la souche modèle de labo­ra­toire, Escherichia coli pos­sède une vitesse d’en­vi­ron 10 µm.s1.

Comparaison de la vitesse de nage de plusieurs bactéries.
Comparaison de la vitesse de nage de plu­sieurs bactéries.

Pour mieux se rendre compte de la vitesse, à cette échelle micro­sco­pique, il est pos­sible d’in­di­quer la dis­tance com­pa­rée à la taille de la cel­lule. Dans le cas de M. mari­nus MC‑1, la vitesse est de 200 fois la dis­tance du corps par seconde. C’est-à-dire qu’en une seconde, elle est capable de réa­li­ser un mou­ve­ment 200 fois supé­rieur à la taille de son corps (1 à 2 µm).

Indication de la vitesse de plu­sieurs bac­té­ries com­pa­rée à la taille de leur corps.

Comparaison de la vitesse avec d’autres cellules

Les bac­té­ries ne sont pas les seuls orga­nismes à pos­sé­der des fla­gelles. On retrouve des fla­gelles chez des cel­lules comme les dino­fla­gel­lés ou les sper­ma­to­zoïdes. Mais mal­gré un nom simi­laire ces struc­tures fonc­tion­ne­ment de façon dif­fé­rente. Par exemple le fla­gelle d’un sper­ma­to­zoïde a un mou­ve­ment ondu­la­toire contrai­re­ment aux bac­té­ries chez qui les fla­gelles ont un mou­ve­ment rota­tif (comme une hélice). La vitesse de quelques cel­lules est indi­quée ci-des­sous pour com­pa­rer à celles des bactéries.

Parmi les cel­lules ci-des­sus, la para­mé­cie est la seule à ne pas uti­li­ser de fla­gelles mais elle se déplace à l’aide de cils pré­sents à sa surface.

Mécanisme de déplacement de Magnetococcus marinus MC‑1

L’étude de La mobi­li­té de M. mari­nus MC‑1 indique que les deux fais­ceaux de fla­gelles de cette bac­té­rie auraient des rôles dif­fé­rents. L’un per­met­trait de tirer la bac­té­rie tan­dis que l’autre la pousse. Pour cela, l’un tour­ne­rait dans le sens des aiguilles d’une montre et l’autre dans un sens contraire. C’est la coor­di­na­tion entre ces deux méca­nismes qui per­met d’ob­te­nir un mou­ve­ment effi­cace. Ainsi la bac­té­rie peut se dépla­cer en for­mant une spirale.

Mode de déplacement de M. marinus MC-1
Schéma sim­pli­fié du mode de dépla­ce­ment de M. mari­nus MC‑1. Un dépla­ce­ment en forme de spi­rale est obte­nu par l’ac­tion coor­don­née des deux fais­ceaux de fla­gelles.

Perspectives de l’étude

Cette étude a per­mis de décrire un nou­veau mode de dépla­ce­ment bac­té­rien. Ces résul­tats ser­vi­ront à mieux com­prendre l’a­dap­ta­tion de cette bac­té­rie à son éco­sys­tème.

En plus des appli­ca­tions en micro­bio­lo­gie, la com­pré­hen­sion de ces méca­nismes pour­rait aus­si être uti­li­sée pour la concep­tion de robots à l’é­chelle micro­sco­pique. Ceux-ci sont construits pour des usages médi­caux : cibler une tumeur, déli­vrer un médi­ca­ment de façon pré­cise, … Des appli­ca­tions dans le domaine de la dépol­lu­tion sont aus­si pos­sibles pour détec­ter ou dégra­der des pol­luants avec ces robots microscopiques.

Référence de l’étude

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