Comment éliminer les levures nuisibles dans le vin ?

Temps de lec­ture : 4 minutes

Durant la vini­fi­ca­tion, la pro­duc­tion d’al­cool repose sur la pré­sence de levures telle que Saccharomyces cere­vi­siae (S. cere­vi­siae). L’ajout dans le vin de cette levure per­met d’aug­men­ter la repro­duc­ti­bi­li­té de la vini­fi­ca­tion et d’ap­por­ter des arômes. Mais d’autres levures peuvent être pré­sentes dans le vin et avoir des effets moins bénéfiques.

Quelles sont les levures présentes dans le vin ?

De nom­breux micro-orga­nismes sont pré­sents sur les grappes de rai­sins. En plus des bac­té­ries, on trouve aus­si des levures sur ce fruit. Ces levures vont être pré­sentes lors des étapes de fer­men­ta­tion de la vinification.

Levures trouvées sur les grappes de raisins
Exemples de levures retrou­vées natu­rel­le­ment à la sur­face des grappes de rai­sins. Données de Drumonde-Neves et al., 2017 et Morgan et al., 2017

La levure Dekkera bruxel­len­sis (D. bruxel­len­sis) est consi­dé­rée comme nui­sible dans le vin car elle dété­riore son goût. En effet, D. bruxel­len­sis pro­duit des molé­cules chan­geant le goût du vin. Malgré son aspect néga­tif dans la vini­fi­ca­tion elle peut aus­si avoir des effets posi­tifs. Elle inter­vient dans la fer­men­ta­tion de bières belge (lam­bic ; bière de fer­men­ta­tion spon­ta­née) et de kom­bu­cha. Elle apporte éga­le­ment des arômes à cer­tains vins rouges fran­çais. D. bruxel­len­sis est éga­le­ment redou­tée dans les pro­cé­dés de pro­duc­tion de bioé­tha­nol où elle dimi­nue la pro­duc­tion d’alcool.

Cette levure serait pré­sente natu­rel­le­ment sur les grappes de rai­sins mais en très faible quan­ti­té ce qui rend sa détec­tion com­pli­quée. Sa pré­sence dans le vin pour­rait aus­si venir de pro­blèmes d’hy­giènes dans les entrepôts.

Comment lutter contre D. bruxellensis ?

Il existe actuel­le­ment une méthode chi­mique pour lut­ter contre la pro­li­fé­ra­tion de D. bruxel­len­sis : le sul­fi­tage. Du dioxyde de soufre (SO2) est ajou­té dans le vin ce qui inhibe la crois­sance de D. bruxel­len­sis mais pas celle de S. cere­vi­siae. En plus de limi­ter la crois­sance de cer­taines levures, ce com­po­sé pro­tège aus­si le vin contre l’oxy­da­tion. Le dioxyde de soufre peut don­ner un mau­vais goût au vin lors­qu’il est pré­sent en trop forte concentration. 

Schéma de la vinification
Schéma très sim­pli­fié du pro­ces­sus de vini­fi­ca­tion. Lors de l’é­tape de fer­men­ta­tion alcoo­lique, les levures natu­rel­le­ment pré­sentes sur les grappes de rai­sins vont pro­duire de l’al­cool. Les vigne­rons peuvent ajou­ter à ce moment une souche connue de levure pour amé­lio­rer la pro­duc­tion et obte­nir des carac­té­ris­tiques vou­lues. L’étape de sul­fi­tage per­met d’é­li­mi­ner une par­tie des levures autres que Saccharomyces cere­vi­siae. Le sul­fi­tage peut être réa­li­sé lors de plu­sieurs étapes de la vinification.

Certaines levures uti­li­sées pour la vini­fi­ca­tion peuvent pro­duire elles mêmes des sul­fites pour lut­ter contre des micro-orga­nismes concur­rents. Selon un prin­cipe simi­laire, d’autres levures pro­duisent des toxines (molé­cules toxiques) pour lut­ter et ain­si réduire la com­pé­ti­tion. Éliminer les concur­rents per­met de récu­pé­rer toutes les res­sources (nutri­ments) pour soi. La levure S. cere­vi­siae est capable de pro­duire une toxine (sac­cha­ro­my­cine ; pep­tides anti-micro­biens) tuant d’autres levures. Néanmoins la pro­duc­tion de cette toxine est trop faible pour lut­ter effi­ca­ce­ment contre D. bruxel­len­sis.

Des cher­cheurs por­tu­gais ont eu l’i­dée de modi­fier géné­ti­que­ment la levure S. cere­vi­siae pour aug­men­ter la syn­thèse de sac­cha­ro­my­cine et donc sa capa­ci­té à lut­ter contre D. bruxel­len­sis. Pour cela ils ont ajou­té une nou­velle copie de ce gène chez S. cere­vi­siae pour qu’elle puisse pro­duire plus de toxines.

Levures génétiquement modifiées

Le gène res­pon­sable de la fabri­ca­tion de sac­cha­ro­my­cine est ajou­té chez la levure via l’u­ti­li­sa­tion d’un plas­mide (molé­cule d’ADN). 

Schéma du clonage d'un gène
L’ajout d’un gène dans le plas­mide se fait comme un “copier et col­ler” en infor­ma­tique. Un frag­ment d’ADN d’in­té­rêt peut être ampli­fié pour obte­nir une quan­ti­té suf­fi­sante pour le clo­nage. Ce frag­ment est ensuite “col­ler” à l’in­té­rieur du plas­mide. Pour cela des outils molé­cu­laires (enzyme de res­tric­tion) sont uti­li­sés pour ouvrir le plas­mide. Une fois le plas­mide construit, il est incor­po­ré dans le noyau de la levure.

Les levures géné­ti­que­ment modi­fiées sont culti­vées en pré­sence ou absence de la levure conta­mi­nante (D. bruxel­len­sis). La fer­men­ta­tion et la den­si­té de levures sont sui­vis au cours de l’ex­pé­rience. Après 24 heures de culture des deux levures, le nombre de D. bruxel­len­sis dimi­nue. Cet effet est encore plus impor­tant pour les souches géné­tiques modi­fiées. Dans ce cas, il y a une dis­pa­ri­tion com­plète de D. bruxel­len­sis.

Perspectives de l’étude

Ces levures géné­ti­que­ment modi­fiées pour lut­ter contre D. bruxel­len­sis pour­raient être uti­li­sées direc­te­ment pour la pro­duc­tion de bioé­tha­nol. La toxine pour­rait aus­si être puri­fiée à par­tir de culture de ces levures et ensuite uti­li­sée pour la fabri­ca­tion de vin.

Référence de l’étude

Branco, P., Sabir, F., Diniz, M., Carvalho, L., Albergaria, H., & Prista, C. (2019). Biocontrol of Brettanomyces/​Dekkera bruxel­len­sis in alco­ho­lic fer­men­ta­tions using sac­cha­ro­my­cin-over­pro­du­cing Saccharomyces cere­vi­siae strains. Applied Microbiology and Biotechnology. doi:10.1007/s00253-019096577 (lien)


Bibliographie com­plé­men­taire

Drumonde-Neves, J., Franco-Duarte, R., Lima, T., Schuller, D., & Pais, C. (2017). Association bet­ween grape yeast com­mu­ni­ties and the vineyard eco­sys­tems. PLoS ONE, 12(1), e0169883. doi:10.1371/journal.pone.0169883 (lien) 

Morgan, H. H., du Toit, M., & Setati, M. E. (2017). The gra­pe­vine and wine micro­biome : Insights from high-through­put ampli­con sequen­cing. Frontiers in Microbiology, 8. doi:10.3389/fmicb.2017.00820 (lien) 

Oro, L., Canonico, L., Marinelli, V., Ciani, M., & Comitini, F. (2019). Occurrence of Brettanomyces bruxel­len­sis on grape ber­ries and in rela­ted wine­ma­king cel­lar. Front. Microbiol. 10:415. doi : 10.3389/fmicb.2019.00415 (lien)

Schifferdecker, A. J., Dashko, S., Ishchuk, O. P., & Piškur, J. (2014). The wine and beer yeast Dekkera bruxel­len­sis. Yeast, 31(9), 323332. doi:10.1002/yea.3023 (lien)

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