Comment éliminer les levures nuisibles dans le vin ?

Posté : 15 novembre 2019 / Mis-à-jour : 7 avril 2024


Temps de lecture : 4 minutes

Durant la vinification, la production d’alcool repose sur la présence de levures telle que Saccharomyces cerevisiae (S. cerevisiae). L’ajout dans le vin de cette levure permet d’augmenter la reproductibilité de la vinification et d’apporter des arômes. Mais d’autres levures peuvent être présentes dans le vin et avoir des effets moins bénéfiques.

Quelles sont les levures présentes dans le vin ?

De nombreux micro-organismes sont présents sur les grappes de raisins. En plus des bactéries, on trouve aussi des levures sur ce fruit. Ces levures vont être présentes lors des étapes de fermentation de la vinification.

Levures trouvées sur les grappes de raisins
Exemples de levures retrouvées naturellement à la surface des grappes de raisins. Données de Drumonde-Neves et al., 2017 et Morgan et al., 2017

La levure Dekkera bruxellensis (D. bruxellensis) est considérée comme nuisible dans le vin car elle détériore son goût. En effet, D. bruxellensis produit des molécules changeant le goût du vin. Malgré son aspect négatif dans la vinification elle peut aussi avoir des effets positifs. Elle intervient dans la fermentation de bières belge (lambic ; bière de fermentation spontanée) et de kombucha. Elle apporte également des arômes à certains vins rouges français. D. bruxellensis est également redoutée dans les procédés de production de bioéthanol où elle diminue la production d’alcool.

Cette levure serait présente naturellement sur les grappes de raisins mais en très faible quantité ce qui rend sa détection compliquée. Sa présence dans le vin pourrait aussi venir de problèmes d’hygiènes dans les entrepôts.

Comment lutter contre D. bruxellensis ?

Il existe actuellement une méthode chimique pour lutter contre la prolifération de D. bruxellensis : le sulfitage. Du dioxyde de soufre (SO2) est ajouté dans le vin ce qui inhibe la croissance de D. bruxellensis mais pas celle de S. cerevisiae. En plus de limiter la croissance de certaines levures, ce composé protège aussi le vin contre l’oxydation. Le dioxyde de soufre peut donner un mauvais goût au vin lorsqu’il est présent en trop forte concentration.

Schéma de la vinification
Schéma très simplifié du processus de vinification. Lors de l’étape de fermentation alcoolique, les levures naturellement présentes sur les grappes de raisins vont produire de l’alcool. Les vignerons peuvent ajouter à ce moment une souche connue de levure pour améliorer la production et obtenir des caractéristiques voulues. L’étape de sulfitage permet d’éliminer une partie des levures autres que Saccharomyces cerevisiae. Le sulfitage peut être réalisé lors de plusieurs étapes de la vinification.

Certaines levures utilisées pour la vinification peuvent produire elles mêmes des sulfites pour lutter contre des micro-organismes concurrents. Selon un principe similaire, d’autres levures produisent des toxines (molécules toxiques) pour lutter et ainsi réduire la compétition. Éliminer les concurrents permet de récupérer toutes les ressources (nutriments) pour soi. La levure S. cerevisiae est capable de produire une toxine (saccharomycine ; peptides anti-microbiens) tuant d’autres levures. Néanmoins la production de cette toxine est trop faible pour lutter efficacement contre D. bruxellensis.

Des chercheurs portugais ont eu l’idée de modifier génétiquement la levure S. cerevisiae pour augmenter la synthèse de saccharomycine et donc sa capacité à lutter contre D. bruxellensis. Pour cela ils ont ajouté une nouvelle copie de ce gène chez S. cerevisiae pour qu’elle puisse produire plus de toxines.

Levures génétiquement modifiées

Le gène responsable de la fabrication de saccharomycine est ajouté chez la levure via l’utilisation d’un plasmide (molécule d’ADN).

Schéma du clonage d'un gène
L’ajout d’un gène dans le plasmide se fait comme un « copier et coller » en informatique. Un fragment d’ADN d’intérêt peut être amplifié pour obtenir une quantité suffisante pour le clonage. Ce fragment est ensuite « coller » à l’intérieur du plasmide. Pour cela des outils moléculaires (enzyme de restriction) sont utilisés pour ouvrir le plasmide. Une fois le plasmide construit, il est incorporé dans le noyau de la levure.

Les levures génétiquement modifiées sont cultivées en présence ou absence de la levure contaminante (D. bruxellensis). La fermentation et la densité de levures sont suivis au cours de l’expérience. Après 24 heures de culture des deux levures, le nombre de D. bruxellensis diminue. Cet effet est encore plus important pour les souches génétiques modifiées. Dans ce cas, il y a une disparition complète de D. bruxellensis.

Perspectives de l’étude

Ces levures génétiquement modifiées pour lutter contre D. bruxellensis pourraient être utilisées directement pour la production de bioéthanol. La toxine pourrait aussi être purifiée à partir de culture de ces levures et ensuite utilisée pour la fabrication de vin.

Référence de l’étude

Branco, P., Sabir, F., Diniz, M., Carvalho, L., Albergaria, H., & Prista, C. (2019). Biocontrol of Brettanomyces/Dekkera bruxellensis in alcoholic fermentations using saccharomycin-overproducing Saccharomyces cerevisiae strains. Applied Microbiology and Biotechnology. doi:10.1007/s00253-019-09657-7 (lien)

Pour plus d’informations

Drumonde-Neves, J., Franco-Duarte, R., Lima, T., Schuller, D., & Pais, C. (2017). Association between grape yeast communities and the vineyard ecosystems. PLoS ONE, 12(1), e0169883. doi:10.1371/journal.pone.0169883 (lien) 

Morgan, H. H., du Toit, M., & Setati, M. E. (2017). The grapevine and wine microbiome: Insights from high-throughput amplicon sequencing. Frontiers in Microbiology, 8. doi:10.3389/fmicb.2017.00820 (lien) 

Oro, L., Canonico, L., Marinelli, V., Ciani, M., & Comitini, F. (2019). Occurrence of Brettanomyces bruxellensis on grape berries and in related winemaking cellar. Front. Microbiol. 10:415. doi: 10.3389/fmicb.2019.00415 (lien)

Schifferdecker, A. J., Dashko, S., Ishchuk, O. P., & Piškur, J. (2014). The wine and beer yeast Dekkera bruxellensis. Yeast, 31(9), 323–332. doi:10.1002/yea.3023 (lien)

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