Que sait-on des bactéries vivants dans les profondeurs de la Terre ?
Posté : 8 octobre 2020 / Mis-à-jour : 7 avril 2024
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Dans son roman écrit en 1846, Voyage au centre de la Terre, Jules Verne imagine la vie dans les profondeurs de la Terre : champignons géants, dinosaures marins, mastodontes, … Que sait-on, aujourd’hui, des organismes vivants dans les profondeurs de la Terre ? Les études scientifiques n’ont pas permis de retrouver des organismes gigantesques comme le supposait par Jules Verne. Néanmoins de nombreux micro-organismes ont été retrouvés sous la surface terrestre.
Le terme « biosphère profonde » est utilisé pour désigner les écosystèmes se trouvant à une profondeur supérieure à un mètre sous la surface du sol (ou sous les sédiments marins) [1]. Ces écosystèmes, sont accessibles via des forages pouvant aller jusqu’à des profondeurs de quelques kilomètres à travers la croûte terrestre ou océanique. Le forage le plus profond (12,2 km) creusé par les humains est le puits SG3 du forage profond de Kola en Russie [2].
La biosphère profonde, un habitat important de bactéries
Des études estiment que 40 à 50 % des micro-organismes terrestres se trouveraient enfouis dans ces écosystèmes sous-terrains [3]. Ces estimations indiquent que la planète Terre abriterait dans la biosphère profonde entre 2 à 6.1029 micro-organismes (c’est-à-dire un chiffre suivi de 29 zéros ; soit 2 à 600 000 000 000 000 000 000 000 000 000).
La biosphère profonde reste un environnement mystérieux. Les conditions qui règnent dans cet écosystème sont différentes de celles que l’on retrouve à la surface. Par exemple, l’absence de lumière empêche la photosynthèse (et donc la production de dioxygène). Cet environnement est également caractérisé par une carence en nutriments. Les micro-organismes qui s’y développent le font très lentement du fait de cette faible présence en nutriments [4]. Des études estiment qu’il faudrait plusieurs centaines ou milliers d’années à ces micro-organismes pour se reproduire.
Outre cette carence en nutriment et l’absence de dioxygène, cet écosystème est caractérisé par d’autres paramètres comme une température et une pression élevées. La température augmente au fur et à mesure que l’on s’enfonce sous la surface terrestre. En fonction de la composition géologique du sol, il faut creuser en moyenne à 4,8 km pour atteindre une température de 122 °C [3] qui est le record auquel un organisme vivant peut se développer [5]. La profondeur maximale de la biosphère profonde n’est pas connue avec précision. Mais il est supposé que la vie est possible seulement à une profondeur de quelques kilomètres sous la surface de la Terre. Le terme « profondeurs terrestres » est donc à relativiser sachant que le rayon de la Terre est d’environ 6 400 km.
Découverte d’une bactérie des profondeurs
Il y a quelques années, l’étude de l’ADN présent dans une mine d’or d’Afrique du Sud, à 2,8 km de profondeur, a permis la découverte d’une nouvelle bactérie : Candidatus Desulforudis audaxviator [6]. Cette bactérie était majoritaire dans cet écosystème et représentait plus de 99,9 % de la communauté bactérienne. À l’époque de sa découverte, les conditions nécessaires à sa croissance en laboratoire n’ont pas pu être déterminées, elle n’a donc pas pu être cultivée. Les seules informations disponibles sur cette bactérie étaient donc basées sur la séquence de son ADN.
Récemment, des scientifiques russes ont isolé une bactérie similaire dans une nappe phréatique, à 2,56 km de profondeur, à l’Est de la Sibérie. Une culture en laboratoire a pu être obtenue ce qui permet d’acquérir plus d’informations sur cette bactérie.
Quel est le mode de vie de cette bactérie ?
Candidatus Desulforudis audaxviator a été isolée dans un environnement dit anaérobie car dépourvu de dioxygène (O2). Pour de nombreux organismes vivant dans ces environnements le dioxygène présent dans l’atmosphère est toxique. Candidatus Desulforudis audaxviator est néanmoins capable de survivre dans un tube à essai contenant de l’air ambiant (et donc du dioxygène).
Cette bactérie se nourrit et récupère son énergie à partir d’éléments inorganiques contenus dans les minéraux du sol. Elle est capable de « respirer » non pas avec du dioxygène mais avec des sulfates (SO42-) présents dans des minéraux comme la célestine (SrSO4) ou la barytine (BaSO4). Elle est également capable de se nourrir à partir d’un gaz, le dihydrogène (H2), et de petites molécules organiques telles que l’acétate et le formate.
La radioactivité, un avantage et un inconvénient pour cette bactérie
Parmi les minéraux présents dans l’écosystème où se développe cette bactérie, certains sont radioactifs. Les radiations émisses par ces minéraux sont capables de briser les molécules d’eau, par un mécanisme appelé radiolyse, ce qui conduit à la formation du gaz H2 dont se nourrit cette bactérie [7]. La radiolyse de l’eau conduit aussi à la formation d’eau oxygénée (H2O2) qui est capable d’interagir avec des minéraux soufrés pour former des sulfates, un autre nutriment de cette bactérie. Candidatus Desulforudis audaxviator est donc dépendante de la radioactivité pour se nourrir dans cet écosystème.
La radioactivité malgré son rôle positif, pour la nutrition, peut également avoir un aspect plus négatif en endommageant les constituants de cette bactérie. Par exemple, en causant des mutations de l’ADN qui peuvent être fatales pour cette bactérie.
Domestication d’une bactérie des profondeurs
Au laboratoire, les conditions de cultures de la bactérie Candidatus Desulforudis audaxviator sont adaptées à celles qui se trouvent à dans les profondeurs terrestres. Pour cela, des billes de verre microscopiques, ont été ajoutées dans le milieu liquide pour simuler les minéraux et roches sur lesquels ces micro-organismes ont l’habitude de se fixer. La température des cultures est également adaptée à 55 °C.
Cette bactérie a été cultivée pendant un an dans ce laboratoire. Durant cette année, elle s’est adaptée à ces conditions de culture. Par exemple, sa taille a diminué (entre 2,1 et 2,8 µm au début et entre 1,4 et 1,7 µm à la fin). Le temps nécessaire au doublement de la population s’est également accéléré jusqu’à atteindre un optimal de 26 heures.
Variation génétique entre la souche de Russie et celle d’Afrique du sud
L’ADN de la bactérie isolée en Russie a été séquencée puis comparé à celui de la souche d’Afrique du sud. Le génome de ces deux bactérie est très similaire (99,95 %). La différence s’explique notamment par la présence de l’ADN d’un virus (prophage) dans le génome de la souche de Russie. À part cette grande région qui change entre les deux souches, le reste de la séquence est très similaire. D’ailleurs, les deux souches bactériennes possèdent des séquences d’ADNr16S identiques à 100 % ce qui rend impossible l’utilisation de ce marqueur taxonomique pour les différencier.
Comment expliquer la propagation de cette bactérie ?
Ces deux souches bactériennes trouvées dans des environnements très distants sont pourtant proches d’un point de vue génétique. Comment expliquer la présence de ces bactéries dans ces deux mines éloignées de plusieurs milliers de kilomètres ?
L’étude de cette bactérie par microscopie a permis de mettre en évidence deux structures cellulaires particulières : une spore et une vacuole gazeuse. La spore étant une forme de protection et la vacuole gazeuse facilitant le déplacement, la combinaison de ces deux structures permettrait d’expliquer la propagation de cette bactérie.
Lors des observations, ces deux structures ne sont pas trouvées de façon indépendante l’une de l’autre. Elles sont présentes uniquement ensemble dans la bactérie. L’association de ces deux structures permettrait à cette bactérie d’être transportée à la surface par l’écoulement d’eaux souterraines et ainsi se de déplacer sur de longues distances.
Perspectives de l’étude
Cette étude permet de mieux connaître les micro-organismes présents dans cet écosystème dit « extrême » comparé à celui où l’on vit. Un scientifique propose même d’utiliser cette bactérie comme modèle pour l’étude d’éventuelles vies extra-terrestres [8]. Les rayons cosmiques émis par différents mécanismes astronomiques pourraient permettre la radiolyse de l’eau à la place des minéraux radioactifs. Ces rayons permettraient ainsi la vie sous la surface de planètes et de satellites naturels. Candidatus Desulforudis audaxviator serait donc un modèle pour envisager la vie dans ces conditions.
Référence de l’étude
Karnachuk, O. V., Frank, Y. A., Lukina, A. P., Kadnikov, V. V., Beletsky, A. V., Mardanov, A. V., Ravin, N. V. (2019) Domestication of previously uncultivated Candidatus Desulforudis audaxviator from a deep aquifer in Siberia sheds light on its physiology and evolution. ISME J.13(8):1947-1959. doi: 10.1038/s41396-019-0402-3 (lien)
Pour plus d’informations
[1] Edwards, K. J., Becker, K., & Colwell, F. (2012). The deep, dark energy biosphere: Intraterrestrial life on Earth. Annual Review of Earth and Planetary Sciences, 40(1), 551–568. doi:10.1146/annurev-earth-042711-105500 (lien)
[2] Uvarova, Y. A., Kyser, T. K., Sokolova, E., Kazansky, V. I., & Lobanov, K. V. (2011). Significance of stable-isotope variations in crustal rocks from the Kola Superdeep Borehole and their surface analogues. Precambrian Research, 189(1-2), 104–113. doi:10.1016/j.precamres.2011.05.005 (lien)
[3] Magnabosco, C., Lin, L.-H., Dong, H., Bomberg, M., Ghiorse, W., Stan-Lotter, H., Pedersen, K., Kieft, T. L., van Heerden, E., & Onstott, T. C. (2018). The biomass and biodiversity of the continental subsurface. Nature Geoscience. doi:10.1038/s41561-018-0221-6 (lien)
[4] Hoehler, T. M., & Jørgensen, B. B. (2013). Microbial life under extreme energy limitation. Nature Reviews Microbiology, 11(2), 83–94. doi:10.1038/nrmicro2939 (lien)
[5] Takai K, Nakamura K, Toki T, et al. Cell proliferation at 122 degrees C and isotopically heavy CH4 production by a hyperthermophilic methanogen under high-pressure cultivation. Proc Natl Acad Sci U S A. 2008;105(31):10949-10954. doi:10.1073/pnas.0712334105 (lien)
[6] Chivian, D., Brodie, E. L., Alm, E. J., Culley, D. E., Dehal, P. S., DeSantis, T. Z., Gihring, T. M., Lapidus, A., Lin, L. H., Lowry, S.R., Moser, D. P., Richardson, P. M., Southam, G., Wanger, G., Pratt, L. M., Andersen, G. L., Hazen, T.C., Brockman, F. J., Arkin, A. P., & Onstott, T. C. (2008). Environmental genomics reveals a single-species ecosystem deep within earth. Science, 322(5899), 275–278. doi:10.1126/science.1155495 (lien)
[7] Lin, L. H., Hall, J., Lippmann-Pipke, J., Ward, J. A., Sherwood Lollar, B., DeFlaun, M., … & Onstott, T. C. (2005). Radiolytic H2 in continental crust: Nuclear power for deep subsurface microbial communities. Geochemistry, Geophysics, Geosystems, 6(7), doi:10.1029/2004gc000907 (lien)
[8] Atri, D. (2016). On the possibility of galactic cosmic ray-induced radiolysis-powered life in subsurface environments in the Universe. Journal of The Royal Society Interface, 13(123), 20160459. doi:10.1098/rsif.2016.0459 (lien)
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