Les baleines se transfèrent-elles des bactéries lors d’interactions sociales ?

Temps de lec­ture : 5 minutes

Vivre en groupe pré­sente de nom­breux avan­tages pour les ani­maux : dimi­nu­tion du risque de pré­da­tion, coopé­ra­tion pour la chasse, échange d’in­for­ma­tions, répar­ti­tion des tâches, … La trans­mis­sion de bac­té­ries béné­fiques entre ani­maux d’un même groupe serait un autre avan­tage de la vie en com­mu­nau­té. Ces trans­mis­sions per­met­traient d’acquérir des bac­té­ries aidant à la nutri­tion ou à la défense contre des micro-orga­nismes patho­gènes. Un groupe d’a­ni­maux serait un “réser­voir” où trou­ver ces bac­té­ries béné­fiques et évi­te­rait aux ani­maux de les cher­cher dans l’environnement.

Le terme de micro­biome est uti­li­sé pour dési­gner l’en­semble des micro-orga­nismes habi­tant dans un éco­sys­tème par­ti­cu­lier. La richesse du micro­biome humain est cor­ré­lée avec le nombre d’interactions sociales. C’est-à-dire que plus un indi­vi­du a d’in­te­rac­tions sociales et plus il y a de micro-orga­nismes dif­fé­rents dans son micro­biome. Un résul­tat simi­laire a été obte­nu pour des pri­mates non humains et des sou­ris. Cela est vrai pour le micro­biome du sys­tème diges­tif mais aus­si celui de la cavi­té respiratoire. 

Des scien­ti­fiques aus­tra­liens et mexi­cains ont vou­lu véri­fier si le micro­biome des baleines (céta­cés) était aus­si influen­cé par les contacts sociaux et la vie en com­mu­nau­té. Les baleines étant des espèces mena­cées, com­ment pré­le­ver leur micro­biome de façon non invasive ?

Baleines et condensat d’air exhalé

Au lieu de réa­li­ser les pré­lè­ve­ments direc­te­ment sur la baleine, ils sont fait dans les jets d’eau que les baleines émettent lors­qu’elles res­pirent. En effet, les baleines pos­sèdent des pou­mons et doivent remon­ter à la sur­face pour res­pi­rer. Lorsqu’elles expirent, un panache d’eau se forme au des­sus des baleines. Il ne s’a­git pas d’eau que les baleines recrachent mais de gaz. Le panache d’eau est dû à la conden­sa­tion des gaz expi­rés qui passe d’un milieu chaud (pou­mon) à un milieu froid (air). Ces panaches d’eau sont éga­le­ment appe­lés conden­sats d’air exha­lé. Ce conden­sat contient des bac­té­ries pro­ve­nant des pou­mons ain­si que du mucus et des débris cel­lu­laires. Ce phé­no­mène est simi­laire à la “buée” que l’on émet l’hi­ver lorsque l’on res­pire et qu’il fait froid.

Schéma simplifié du système respiratoire d'un baleine.
Schéma sim­pli­fié du sys­tème res­pi­ra­toire d’un baleine. Les baleines sont capables de fer­mer leur voies nasales lors­qu’elles plongent. Les conden­sats d’air exha­lé contiennent du mucus, des débris cel­lu­laires ain­si que des bactéries. 

Les bac­té­ries conte­nues dans ces conden­sats peuvent être aspi­rées par d’autres baleines lors­qu’elles ins­pirent. Les bac­té­ries ain­si aspi­rées peuvent se déve­lop­per dans le sys­tème res­pi­ra­toire de la nou­velle baleine. Ces conden­sats sont donc une voie de trans­mis­sion des bac­té­ries pré­sentes dans le sys­tème respiratoire.

Comment prélever les bactéries chez les baleines ?

Deux méthodes sont uti­li­sées dans cette étude pour pré­le­ver les conden­sats d’air exha­lé. Des perches téles­co­piques sont uti­li­sées pour pla­cer des réci­pients (boites de Petri) à proxi­mi­té des conden­sats. La seconde méthode uti­lise un petit héli­co­ptère radio-télé­com­man­dé qui porte des réci­pients. Le prix Ig Nobel d’in­gé­nie­rie de 2010 avait récom­pen­sé cette méthode de pré­lè­ve­ment inso­lite. Cette méthode est non inva­sive et peut être uti­li­sée dans le milieu natu­rel des baleines. Les céta­cés n’ont pas mon­tré de signes de stress lors des pré­lè­ve­ments avec l’hé­li­co­ptère radio-télécommandé.

Schéma des méthodes de prélèvements utilisées dans l'étude.
Schéma des méthodes de pré­lè­ve­ments uti­li­sées dans l’é­tude. Une perche téles­co­pique peut être uti­li­sée mais elle pré­sente un risque de col­li­sion entre l’embarcation et la baleine. L’hélicoptère radio-télé­com­man­dé dimi­nue les risques pour la baleine et les scientifiques. 

Les bac­té­ries, pré­sentes dans ces panaches d’eau, ont été iden­ti­fiées en uti­li­sant une séquence de leur ADN : l’ADNr 16S. Cette séquence d’ADN est consi­dé­rée comme un bio­mar­queur car elle serait spé­ci­fique à chaque espèce bac­té­rienne. Elle peut être consi­dé­rée comme un “code barre”. En com­pa­rant ces séquences à celles pré­sentes dans des bases de don­nées, il est pos­sible d’i­den­ti­fier les bac­té­ries pré­sentes dans les pou­mons des baleines.

Schéma métagénomique
L’ADN des bac­té­ries conte­nues dans les conden­sats d’air exha­lé est extrait à par­tir des échan­tillons. Un séquen­çage de cet ADN est ensuite réa­li­sé puis les séquences sont com­pa­rées à celles pré­sentes dans des banques de don­nées. Cela per­met d’i­den­ti­fier les bac­té­ries fai­sant par­tie du micro­biome res­pi­ra­toire des baleines.

Quatre espèces de céta­cés sont étu­diées. Elles sont indi­quées ci-des­sous de la moins à la plus sociale : 

- Baleine bleue (Balaenoptera mus­cu­lus)

- Baleine grise (Eschrichtius robus­tus)

- Baleine à bosse (Megaptera novaean­gliae)

- Globicéphale com­mun (Globicephala melas)

Quel cétacé a le microbiome le plus diversifié ?

Les glo­bi­cé­phales com­muns sont les céta­cés les plus sociaux par­mi ceux étu­diés. Si les contacts sociaux influencent la richesse du micro­biome, celui-ci devrait être plus impor­tant chez cette espèce que chez les autres céta­cés. Néanmoins, ce sont les baleines à bosse qui pos­sèdent le micro­biome le plus riche alors qu’elles sont moins sociales que les glo­bi­cé­phales com­muns. Les baleines bleues et grises pos­sèdent un micro­biome pauvre et sont peu sociales. Les résul­tats de cette étude indiquent que l’in­te­rac­tion sociale n’est pas le seul fac­teur expli­quant la richesse du micro­biome, chez les cétacés.

Richesse du microbiome chez plusieurs cétacés
La richesse du micro­biome est déter­mi­née via l’in­dice de Shannon qui per­met de cal­cu­ler la bio­di­ver­si­té d’un milieu. Les espèces de céta­cés sont clas­sées de la moins sociale à la plus sociale (de gauche à droite). 

Pour expli­quer ce résul­tat inat­ten­du, l’é­quipe de scien­ti­fiques sug­gère que la taille des pou­mons est un second fac­teur impli­qué dans la diver­si­té du micro­biome res­pi­ra­toire. Les glo­bi­cé­phales com­muns ont des pou­mons d’un volume plus faible que les autres céta­cés étu­diés, cela se tra­duit par un conden­sat d’air exha­lé plus petit. Les pou­mons des baleines à bosse sont plus volu­mi­neux ce qui aug­mente la taille des conden­sats d’air exha­lé et peut faci­li­ter la trans­mis­sion de micro-orga­nismes entre indi­vi­dus mal­gré des contacts sociaux moins fréquents.

Perspectives de l’étude

Le micro­biome des voies res­pi­ra­toires des baleines semble plus com­plexe que pré­vu. Les inter­ac­tions sociales pour­raient avoir un impact mais ne seraient pas le seul fac­teur. Cette étude pour­rait être pour­sui­vie chez d’autres espèces de céta­cés et d’a­ni­maux pour mieux com­prendre l’im­pact de la vie en groupe sur le micro­biome des animaux.

Outre l’aspect sur les rela­tions sociales, les études du micro­biome des baleines sont impor­tantes pour leur pré­ser­va­tion. De nom­breuses menaces telles que la chasse des baleines, la sur­pêche de leur proie (krill) ain­si que la pol­lu­tion sonore et chi­mique de l’eau conduisent à une dimi­nu­tion du nombre de baleines. En paral­lèle, les baleines sont aus­si infec­tées par des micro-orga­nismes patho­gènes. En connais­sant mieux le micro­biome de ces ani­maux, il sera pos­sible d’é­tu­dier plus faci­le­ment les micro-orga­nismes patho­gènes et les infections.

Bibliographie

Vendl, C., Slavich, E., Nelson, T., Acevedo-​Whitehouse, K., Montgomery, K., Ferrari, B., Thomas, T., & Rogers, T. (2020). Does socia­li­ty drive diver­si­ty and com­po­si­tion of air­way micro­bio­ta in ceta­ceans ? Environmental Microbiology Reports. doi:10.1111/17582229.12835 (lien)


Bibliographie com­plé­men­taire

Acevedo-Whitehouse, K., Rocha-Gosselin, A., & Gendron, D. (2010). A novel non-inva­sive tool for disease sur­veillance of free-ran­ging whales and its rele­vance to conser­va­tion pro­grams. Animal Conservation, 13(2), 217225. doi:10.1111/j.14691795.2009.00326.x (lien)

Lombardo, M. P. (2007). Access to mutua­lis­tic endo­sym­bio­tic microbes : An unde­rap­pre­cia­ted bene­fit of group living. Behavioral Ecology and Sociobiology, 62(4), 479497. doi:10.1007/s00265-00704289 (lien)

L’image de la vignette est ins­pi­rée d’une pho­to­gra­phie (lien) de Whit Welles sous licence Creative Commens Attribution 3.0 non trans­po­sé (CC BY 3.0).

Humpback Whale, brea­ching, Stellwagen Bank National Marine Sanctuary 

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