Les bactéries attendent-elles cinq secondes avant d’aller sur un aliment tombé par terre ?

Temps de lec­ture : 4 minutes

Une « légende urbaine » pré­tend que lorsqu’un ali­ment tombe par terre, on dis­pose de cinq secondes pour le ramas­ser sans qu’il y ait de conta­mi­na­tions par des micro-orga­nismes. Un son­dage réa­li­sé auprès de 495 étu­diants de l’u­ni­ver­si­té d’Aston (Angleterre) indique que 84 % des par­ti­ci­pants ont déjà man­gé de la nour­ri­ture tom­bée par terre. Bien que cette « légende » soit assez répan­due, il y a très peu de publi­ca­tions scien­ti­fiques sur le sujet.

Un sujet populaire en médiation scientifique

Plusieurs études sur cette légende urbaine ont été réa­li­sées en dehors du monde aca­dé­mique. Des expé­riences ont été pro­duites dans l’é­mis­sion de vul­ga­ri­sa­tion scien­ti­fique : MythBusters (Discovery Science Channel’s). Durant cette émis­sion, aucune dif­fé­rence de trans­fert n’a­vait été obser­vée si l’a­li­ment res­tait deux ou six secondes par terre.

Un prix Ig-Nobel, attri­bué pour des recherches impro­bables, a été décer­né à Jillian Clarke pour son tra­vail sur la règles des cinq secondes. Alors qu’elle était au lycée, elle a réa­li­sé un stage dans un labo­ra­toire de recherche durant lequel elle a obser­vé par micro­sco­pie la fixa­tion de bac­té­ries sur des bon­bons tom­bés par terre pen­dant cinq secondes.

L’ensemble de ces résul­tats est inté­res­sant et ouvre des pistes de recherches. Néanmoins le fait qu’ils n’aient pas été relus et éva­lués par d’autres scien­ti­fiques lors de publi­ca­tions dans des jour­naux scien­ti­fiques réduit un peu leur impact. De plus les pro­to­coles détaillés ne sont pas for­cé­ment dis­po­nibles, rédui­sant la répé­ta­bi­li­té de ces expériences.

Comment vérifier si les bactéries attendant bien 5 secondes ?

En 2016, deux scien­ti­fiques se sont inté­res­sés à cette règle des cinq secondes. Ils ont étu­dié le trans­fert de bac­té­ries entre plu­sieurs types d’a­li­ments et de surfaces.

Aliments testés dans l'étude.
Aliments tes­tés dans l’é­tude. Pour favo­ri­ser la com­pa­rai­son des ali­ments, des cubes de 4 x 4 cm sont uti­li­sés pour chaque ali­ment. Cela per­met d’a­voir la même sur­face de contact pour chaque aliment.

Les scien­ti­fiques ont uti­li­sé une bac­té­rie non patho­gène pour tes­ter le trans­fert entre un ali­ment et une sur­face : Enterobacter aero­genes B199A. Cette bac­té­rie avait déjà été uti­li­sée dans des études sur les conta­mi­na­tions ali­men­taires. En effet, elle pos­sède un mode d’attachement aux sur­faces simi­laire à celui de Salmonella qui est une bac­té­rie patho­gène res­pon­sable d’in­toxi­ca­tion ali­men­taire (sal­mo­nel­lose).

Plusieurs sur­faces pou­vant être trou­vées dans une cui­sine sont tes­tées. Quelques gouttes d’une sus­pen­sion bac­té­rienne sont dépo­sées sur la sur­face à tes­ter puis mise à sécher jus­qu’à ce que la sur­face soit sèche (5 heures). Les auteurs estiment que 10 000 000 bac­té­ries sont pré­sentes sur la sur­face (quan­ti­fiés sous forme d’uni­té for­mant colo­nie).

Surfaces testées dans l'étude.
Surfaces tes­tées dans l’é­tude. Pour favo­ri­ser la com­pa­rai­son des sur­faces, celles-ci sont décou­pées sous forme de car­ré de 5 x 5 cm. Cela per­met d’a­voir des sur­faces de dimen­sions similaires.

L’expérience consiste à faire tom­ber un ali­ment sur une sur­face conta­mi­née par la bac­té­rie à tes­ter. L’aliment est lais­sé en contact de la sur­face durant un délai défi­ni puis reti­ré. La quan­ti­té de bac­té­ries pré­sentes sur la sur­face et l’a­li­ment est ensuite déter­mi­née (dénom­bre­ment sur un milieu de culture).

Protocole de l'expérience
Les expé­riences sont réa­li­sées dans un poste de sécu­ri­té micro­bio­lo­gique pour évi­ter la conta­mi­na­tion par d’autres bactéries. 

Cette expé­rience est répé­tée 20 fois pour chaque condi­tion tes­tée (20 répli­cats). Ce nombre de répé­ti­tions impor­tant per­met d’ob­te­nir une puis­sance sta­tis­tique plus impor­tante lors de l’a­na­lyse des résul­tats. Il s’a­git d’un aspect inté­res­sant de cette étude com­pa­rée à d’autres qui réa­lisent en moyenne seule­ment trois réplicats.

Quels sont les résultats de l’expérience ?

Des bac­té­ries sont obser­vées sur les ali­ments pour une durée de contact infé­rieur à une seconde. Plus la durée de contact est impor­tante et plus l’on observe de bac­té­ries sur l’a­li­ment après transfert.

La pas­tèque est l’aliment avec le plus haut pour­cen­tage de trans­fert. Cela pour­rait venir de l’humidité de la pas­tèque qui favo­rise le trans­fert. Une autre hypo­thèse serait que la sur­face de la pas­tèque est plus “plate” au niveau micro­sco­pique que les autres ali­ments. Une sur­face plate per­met­trait d’aug­men­ter la zone de contact entre l’a­li­ment et la surface.

Le tapis est la sur­face qui pré­sente le moins de trans­fert. L’hypothèse évo­quée par les auteurs seraient que les bac­té­ries sont fixées ou blo­quées à l’in­té­rieur des fibres du tapis. Leur trans­fert serait donc plus compliqué.

La pres­sion exer­cée sur l’a­li­ment au contact de la sur­face n’a pas été prise en compte dans cette étude et pour­rait être une autre variable impli­quée dans ce trans­fert. Des études pré­cé­dentes avaient indi­qué une aug­men­ta­tion du trans­fert de bac­té­ries vers l’a­li­ment lors­qu’une pres­sion était exer­cée sur celui-ci.

Perspectives de l’étude

Cette étude confirme que plus un ali­ment reste en contact du sol et plus le nombre de bac­té­ries trans­fé­rées est impor­tant. Cette “légende urbaine” est bien basée sur un fond de véri­té puis­qu’il y a une rela­tion entre le temps et le trans­fert de bac­té­ries. Néanmoins, le trans­fert est détec­té pour des durées infé­rieures à cinq secondes ce qui remet en ques­tion cette “légende urbaine”. Ce phé­no­mène est bien plus com­pli­qué que pré­vu. En effet, ce trans­fert dépend de nom­breux para­mètres et ne se résume pas à la durée de contact. 

Facteurs influençant le transfert de bactéries vers un aliment tombé par terre.
Paramètres connus pour influen­cer le trans­fert de bac­té­ries vers la nourriture. 

Référence de l’étude

Miranda, R. C., & Schaffner, D. W. (2016). Longer contact times increase cross-conta­mi­na­tion of Enterobacter aero­genes from sur­faces to food. Applied and Environmental Microbiology, 82(21), 64906496. doi:10.1128/aem.0183816 (lien)


Bibliographie com­plé­men­taire

Dawson, P., Han, I., Cox, M., Black, C., & Simmons, L. (2006). Residence time and food contact time effects on trans­fer of Salmonella typhi­mu­rium from tile, wood and car­pet : tes­ting the five-second rule. Journal of Applied Microbiology, 102 (2007) 945953 doi:10.1111/j.13652672.2006.03171.x (lien)

Zhao, P., Zhao, T., Doyle, M. P., Rubino, J. R., & Meng, J. (1998). Development of a model for eva­lua­tion of micro­bial cross-conta­mi­na­tion in the kit­chen. Journal of Food Protection, 61(8), 960963. doi:10.4315/0362028x-61.8.960 (lien)

https://​aces​.illi​nois​.edu/​n​e​w​s​/​i​f​-​y​o​u​-​d​r​o​p​-​i​t​-​s​h​o​u​l​d​-​y​o​u​-​e​a​t​-​i​t​-​s​c​i​e​n​t​i​s​t​s​-​w​e​i​g​h​-​5​-​s​e​c​o​n​d​-​r​ule

https://​www​.scien​ce​mag​.org/​n​e​w​s​/​2004​/​10​/​2004​-​i​g​-​n​o​b​e​l​-​p​r​i​z​e​s​-​a​n​n​o​u​n​ced

https://​www​.scien​ti​fi​ca​me​ri​can​.com/​a​r​t​i​c​l​e​/​f​a​c​t​-​o​r​-​f​i​c​t​i​o​n​-​t​h​e​-​5​-​s​e​c​o​n​d​-​r​u​l​e​-​f​o​r​-​d​r​o​p​p​e​d​-​f​o​od/

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